Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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Sur des sommets de canne à anneaux mobiles

Voici un article concernant la canne à anneaux mobiles, trouvé dans les « Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris, II° Série. Tome 11, 1876. pp. 59-62″ de Mortillet Gabriel et publié en 1876 (cet article est disponible sur le site http://www.persee.fr ).

Sur des sommets de canne à anneaux mobiles
PAR M. GABRIEL DE MORTILLET

Mon article sur l’origine du bronze, que j’ai eu l’honneur de présenter à la Société d’anthropologie dans la dernière séance m’a valu une nombreuse correspondance. On m’a surtout écrit à propos des sommets de canne à anneaux mobiles, M. André Perrin, conservateur du musée de Ghambéry, m’écrit de cette ville: «Le lendemain du jour où j’ai reçu votre brochure, un missionnaire ayant séjourné longtemps dans l’Inde est venu visiter notre musée. Envoyant les tubes de bronze à anneaux mobiles péchés dans le lac du Bourget, il a été d’autant plus surpris que ces objets sont entièrement semblables à des sommets de canne encore en usage en Asie. Les serpents dans certaines régions de l’Inde sont extrêmement abondants et très venimeux ; heureusement ils ne mordent que lorsqu’ils sont attaqués ou surpris.

Pour éviter leur terrible morsure, les voyageurs s’arment d’un long bâton terminé au sommet par un de ces tubes à anneaux et ils marchent en agitant les anneaux afin de réveiller et faire fuir les serpents. »

Deux jours après, je recevais une lettre de mon ami Cari Vogt, dont j’extrais le passage suivant :

« Dans mon pays natal, la Hesse supérieure, les gardiens de bestiaux ont chacun un instrument spécial. Le pâtre de moutons a la houlette, celui de cochons un fouet et celui de bêtes à cornes ce que l’on appelle en allemand le Ringel- stecker ou Ringelstock (bâton à anneaux). On fabrique cet instrument avec une forte branche de noisetier ayant vers le haut une branche secondaire latérale. On courbe cette dernière après y avoir engagé cinq ou six anneaux en métal et on attache avec de l’osier le bout libre à l’extrémité de la branche principale. On obtient ainsi un bâton terminé en raquette dans laquelle sont engagés les anneaux mobiles (fîg. 1).

« Cet instrument est chez nous, comme je viens de le dire, l’insigne distinctif du bouvier. Celui-ci, lorsqu’une bête s’écarte du troupeau, secoue son bâton de manière à produire du bruit afin d’avertir l’animal, qui d’ordinaire rentre dans les rangs. S’il n’obéit pas, le berger lui lance le Ringelstock, dont le bout, alourdi par les anneaux, va en avant et frappe la bête avec bruit. Il faut une adresse assez grande pour savoir lancer ce bâton, et une anecdote populaire raconte qu’un paysan voyant son fils opérer maladroitement lui dit : Ma foi, mon gars, si tu es trop bête pour apprendre à lancer le Ringelstock, il ne te reste d’autre ressource que de te faire curé.

« Je crois donc que votre insigne n’est autre chose que le Ringelstock anobli et devenu l’insigne des saints qui mènent paître le troupeau du dieu Bouddha, tout comme la houlette est devenue la crosse des évêques chrétiens. La préférence donnée à l’instrument des bouviers par les Indiens et les Aryas s’expliquerait même assez bien par la sainteté delà vache, qui se trouve, si je ne me trompe, déjà dans les Védas. »

M. Vladimir de Maïnof m’a écrit de Pétersbourg pour me prouver que les instruments à anneaux mobiles découverts dans les stations lacustres suisses pouvaient bien être aussi des espèces de sifflets. .

Evidemment la douille servait à fixer l’objet en bronze à un manche en bois, mais vers le haut de cet objet on remarque un bassinet percé de part en part. En appliquant la bouche à l’un des orifices, on produit un son rauque et vibrant. C’était donc, fixé ou non à un bâton, une espèce de trompette primitive.

En Russie, il existe encore de nos jours des pèlerins mendiants qui vont de monastère en monastère et d’un sanctuaire miraculeux à l’autre. Ces pèlerins mendiants, appelés kalikis, forment entre eux des ar- tèles ou associations. Ils chantent des cantiques populaires sur les divers saints et des chansons de fantaisie. Dans leurs pérégrinations, ils portent à la main droite un bâton en forme de crosse dont le bout recourbé est réuni à la partie droite par une petite tige horizontale dans laquelle est passé un anneau armé d’une clochette (fig. 2).

La partie recourbée du bâton est creuse et percée de deux trous, de sorte qu’en appliquant la bouche à l’un d’eux on produit comme un son de trompette ou de cornet de bouquin. Clochette et trompette servent à attirer l’attention des habitants sur la bande des pèlerins.

Dès qu’on entend cette musique peu harmonieuse, chacun sort de sa maison pour donner l’aumône aux kalikis. Il y a quelques jours à peine, les archéologues se trouvaient fort embarrassés pour assigner une destination aux pièces à anneaux mobiles découvertes dans les habitations lacustres de la Suisse et de la Savoie ; maintenant les applications deviennent si nombreuses qu’on sera non moins embarrassé pour choisir ; toujours est-il que ces instruments paraissent décidément être des sommets de canne destinés à  » produire une musique plus ou moins charivarique.

FM

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1 Comment to “Sur des sommets de canne à anneaux mobiles”

  1. Laurent BASTARD dit :

    Voir aussi sur ce type de canne sonore, l’article du 6 mars 2010 : « Le bâton contre les serpents des courriers de l’Inde », avec une illustration.

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