Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE CHEVAL-BATON


Il s’agit d’un jeu très ancien, attesté dès l’Antiquité gréco-romaine, mais qui devait être répandu sur tous les continents (recherches à faire cependant, des évidences sont parfois contredites par les faits recensés dans des civilisations éloignées les unes des autres). Le cheval-bâton appartient à la catégorie des jeux d’imitation.

En quoi consiste-t-il ? Il s’agit d’un simple bâton à l’extrémité duquel on adapte une représentation de tête de cheval. L’enfant enfourche le bâton et court, trotte, se cabre, comme s’il ne faisait qu’un avec sa monture. Il est le cavalier, le maître du cheval, le chevalier sur son fier destrier… Il a l’avantage sur le cheval à bascule d’être mobile.
Voilà encore ce qui démontre que les accessoires les plus simples libèrent l’imagination et les rêves des enfants. Et que c’est encore un bâton, un simple bâton, qui procure ses joies infinies ! (image : enfant d’aujourd’hui sur un cheval-bâton ; source : Wikipédia, article cheval-bâton)

Images anciennes. Dans l’article « Jouets d’hier et de toujours » publié dans la revue « Lectures pour tous » (décembre 1903), on peut voir, p. 272, une estampe du XVIe siècle représentant des enfants jouant. Au centre figure un enfant à califourchon sur un bâton terminé par un petit cheval muni d’une cordelette en guise de rènes. L’enfant tient une badine pour le faire avancer. Une autre représentation se trouve aussi sur le tableau de Bruegel (1560) consacré aux jeux d’enfants. L’un d’eux est à cheval sur son bâton et agite sa badine. A l’extrémité du bâton est fixée une tête de cheval avec sa crinière et ses brides. (voir les deux images).

Un jouet toujours actuel. Aussi ancien soit-il, le cheval-bâton n’a jamais disparu des jouets enfantins, mais il a connu une éclipse durant le dernier demi-siècle au profit de jouets manufacturés plus élaborés, colorés, « éducatifs » ou électroniques. Notons bien que s’il s’est fait discret chez les marchands de jouets, il a subsisté sous sa forme primitive de simple bâton, car quel enfant n’a pas, un jour, enfourché un bâton pour en faire un cheval ? Le retour des jouets anciens sur le marché, en bois et textiles, permet aujourd’hui de l’offrir aux enfants.

Il en existe différents modèles. Le bâton mesure en général 70 cm à 1 m de longueur. Y est adapté soit une tête de cheval en peluche, soit un petit cheval entier, de diverses couleurs au choix et d’une vingtaine de centimètres. Il peut aussi s’agir d’une simple silhouette peinte de tête de cheval. En général, deux poignées transversales sont fixées juste après la tête, pour que l’enfant s’y tienne.
Le bâton est ou non rembourré de tissu. Il est parfois muni d’un jupon, qui figure le caparaçon d’un cheval de tournoi. Sur l’extrémité qui repose sur le sol, les fabricants ont adapté deux roulettes. Certains modèles sont même musicaux ! (voir les photos de trois modèles commercialisés).

Le faire soi-même. Divers sites fournissent toutes les indications pour confectionner soi-même un cheval-bâton. Le site www.aplatecouture.fr est particulièrement clair et illustré de plusieurs photos. Le bâton est assez court (67 cm). Il est rembourré pour éviter les chocs si l’enfant, pris dans sa course, vient à chuter ou heurter un obstacle. Le bâton ne comporte pas de roulettes. Il est muni de rènes en tissu et non de poignées latérales.

Synonyme. Le Dictionnaire de l’Académie française, éd. de 1835, p. 468, à l’entrée DADA, nous indique : « Terme dont se servent les enfants, et quelquefois ceux qui leur parlent, pour désigner un cheval. Un petit dada. Aller à dada. Il se dit également d’un bâton sur lequel un enfant se met à cheval. » On verra ci-dessous qu’au XVIIIe siècle, il était aussi appelé « tire-en-jambe ».

Un jeu ridicule pour un adulte ? Le cheval-bâton est un jeu d’enfant, mais est-il réservé aux enfants ? Le poète latin Horace, dans ses Satyres (livre II), invitait à la modération : « N’est-il pas vrai que faire des châteaux de cartes, atteler des rats à un petit chariot, jouer à pair et impair, aller à cheval sur un bâton, c’est une extrême folie à un homme fait ? Et que direz-vous, si je vous montre par de bonnes raisons, que l’amour est une folie toute semblable, et qu’il n’y a point de différence entre jouer à ces petits jeux d’enfant et verser des larmes pour une courtisane ? » Bien vu, en effet…

D’illustres personnages n’ont pas hésité à enfourcher un cheval-bâton, ce qui a amusé leurs contemporains. Ses biographes rapportent notamment qu’Agésilas II, roi de Lacédémone (Sparte), mort en 361 av. J.-C. « à cheval sur un bâton, jouait avec son fils, encore petit enfant ; quelqu’un le vit et se mit à rire : « Tais-toi pour le présent, lui dit-il ; attends que tu sois père, pour donner des conseils à ceux qui le sont. » (rapporté par J.F. de la Croix : Dictionnaire portatif des faits et dits mémorables de l’histoire ancienne et moderne », tome premier, 1768, p. 21.)

Plus près de nous, citons Louis XVI et Marie-Antoinette. En mars 1780, rapporte Bachaumont, le roi était affligé d’un acte de piraterie commis sur ses vaisseaux. « La Reine, toujours aimable et folâtre, pour dissiper sa Majesté, a proposé de jouer à « tire-en-jambe ». C’est un jeu d’enfant, où l’on se met à cheval sur un bâton et chacun combat dans cette attitude. Le roi qui n’avait point envie de rire, s’est laissé aller à la fin et a montré beaucoup d’adresse. » (Louis PETIT de BACHAUMONT : Mémoires secrets pour servir l’histoire de la République des lettres en France depuis 1762″, tome 15, p. 78).

L’ancêtre du vélocipède ? Richard LESCLIDE, qui signait Le Grand Jacques, a écrit un intéressant « Manuel du Vélocipède » publié par la Librairie du Petit Journal en 1869. Intéressant, parce que ses considérations sur les ancêtres du vélocipède, qui faisait alors son apparition dans le domaine des moyens de locomotion, montrent avec finesse que le bâton est vraiment l’instrument primordial, le point de départ des inventions futures et des symboles d’autorité religieuse. Il conforte le lien étroit qui s’est établi entre le cheval et le bâton, que nous avons déjà signalé dans l’article Le bâton magique du bon petit Henri (1857).

« Le cheval – conquis par l’homme dès les temps les plus reculés – est certainement l’idée-mère, le genre, le type de toute une série d’appareils de locomotion dont l’humanité s’est enrichie.
Dans cette série, nous distinguerons une classe spéciale, renfermant des machines destinées à imiter le cheval ou à le remplacer, machines mues par la seule force humaine. Cette définition nous ouvre une galerie qui commence au bâton pour aboutir au Vélocipède.

Oui, très sérieusement, le premier enfant courant à cheval sur un bâton est l’inventeur du Vélocipède primitif. Tout le reste n’est qu’amélioration et perfectionnement (…).
Le cheval-bâton ne saurait être relégué parmi les jeux de l’enfance. Aujourd’hui encore, les pâtres des Alpes descendent les pentes neigeuses à califourchon sur leurs piques ferrées ; il n’est pas de touriste qui n’ait expérimenté ce genre de locomotion.

L’Ecriture, qui se prête aux paraboles, parle d’une branche d’olivier rapportée par une colombe. Or, notre appareil dérive du bâton, comme le bâton procède de la branche. Pour descendre sur les versants du mont Ararat, glissants de quarante jours de pluie, nos premiers pères durent s’armer du bâton des pasteurs.
Reportez-vous aux temps antiques que ce tableau vient d’évoquer. Voyez-vous dans ce bâton recourbé la tête du cheval avec son allure fière ?
Le Vélocipède se perfectionne lentement. Mais, dans les civilisations primitives, il imite d’abord la forme et le contour ; plus tard, ce qu’il voudra conquérir, ce sera la vitesse.

Abandonnons cette première période d’où sortent deux grands courants distincts, qui ne sont pourtant pas sans analogie. D’un côté, le bâton conduit, dirige et gouverne ; c’est la crosse catholique aux mains des évêques et des abbés ; – de l’autre, il emporte, égare et mêne au sabbat les sorcières nues ; c’est un manche à balai. »

Voilà comment on savait parler autrefois avec lyrisme du bâton et de la bicyclette !

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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