Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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POUR UNE CANNE, ON DIT « POMME » OU « POMMEAU » ?

Dites aujourd’hui « pomme de canne » et l’on vous comprendra, mais on dit plutôt « pommeau de canne ». Or, quel est le mot correct ?

Si l’on consulte le Wikitionnaire, on lit : « Pommeau : extrémité supérieure de la poignée d’une épée, d’un sabre, d’une canne ou d’un parapluie, dans laquelle est rivée, selon les cas, soit : la soie de la lame, soit le bâton. » Et suit un exemple : « Ils commencèrent à frapper avec le pommeau de leurs épées à la porte de chêne qui fermait l’église… » (Alexandre Dumas : Othon l’archer, 1839). »

Cette définition, on va le voir, n’est pas parfaite. « Extrémité supérieure de la poignée d’une canne » ? D’accord. Mais « extrémité supérieure de la poignée d’une épée ? Tout dépend du sens où elle est présentée, et c’est en fait l’extrémité inférieure, opposée à la soie de la lame, qui pénètre dans la poignée du côté de la garde.

De plus, la définition nous indique que cet article est extrait du Dictionnaire de l’Académie française, édition 1932-1935. Or, si on clique sur le lien, on atteint le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), et on constate que « pommeau » n’y est pas défini de la même façon, et notamment qu’il n’est pas question de canne ni de parapluie :
« Extrémité supérieure de la poignée d’une épée ou d’un sabre, dans laquelle est rivée la soie de la lame. Le pommeau de cette épée représente une tête de minerve. Coup de pommeau d’épée. Mettre la main sur le pommeau de son épée. »

On le voit, le pommeau est l’extrémité opposée à la pointe de la lame de l’épée. Admettons que si l’épée est présentée la lame pointée sur le sol, comme lorsqu’on la porte au côté, le pommeau est bien son extrémité supérieure. Mais en aucun cas on n’y introduit la soie de la lame, car sinon, on serait bien en peine, comme dans la citation d’Alexandre Dumas, de frapper avec le pommeau sur une porte de chêne.

Cette définition est encore celle de la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française, comme d’ailleurs, à peu de variantes près, de toutes les précédentes, depuis le XVIIe siècle. Et il n’y est JAMAIS question de la canne.

Voyons à présent la distinction « pommeau / pomme » et prenons par exemple les définitions données par le Dictionnaire de l’Académie française, édition 1835 (mais celle des éditions antérieures et postérieures est sembable) :

« POMME. Se dit encore des divers ornements de bois, de métal, etc. faits en forme de pomme ou de boule. Des pommes de lit. La pomme d’un chenet. La pomme d’une canne. Une canne à pomme d’or, à pomme d’ivoire.
POMMEAU. Espèce de petite boule qui est au bout de la poignée d’une épée. Ce pommeau est bien travaillé. Coup de pommeau d’épée. Mettre la main sur le pommeau de son épée. Se dit aussi d’une éminence qui est au milieu de l’arçon de devant d’une selle, et qui est de forme arrondie. »

C’est donc bien clair : pommeau pour l’épée, pomme pour la canne. Or, l’usage en a vite décidé autrement. On lit par exemple dans le « Dictionnaire analogique de la langue française » de Prudence Boissière (1862), à l’entrée BATON : « Pomme d’or, d’argent, de corne, d’ivoire, etc. Pommeau, tête d’un bâton, d’une canne. » Cela montre bien que le mot « pommeau » était bien employé comme synonyme de « pomme », à l’encontre des dictionnaires académiques, comme il l’est encore aujourd’hui.

Cet emploi incorrect est même ancien, puisqu’attesté au XVIIIe siècle. Le « Catalogue des effets précieux de feue son Altesse Royale le Duc Charles de Lorraine et de Bar, etc. dont la vente se fera publiquement à Bruxelles et commencera le 21 mai 1781″ fait état, par exemple, de : « pommeau de canne, en forme de béquille (…), pommeau de canne de lapis lazuli, ayant un cercle d’or (…), un pommeau de canne de cristal de roche (…), un pommeau d’or monté sur un beau jonc (…) », etc.

Les lexicographes ont dénoncé assez tôt cet emploi incorrect, sans succès. On trouve en effet, en 1827, dans le « Glossaire génevois, ou recueil étymologique des termes dont se compose le dialecte de Genève, avec les principales locutions défectueuses en usage dans cette ville », de Jean-Aimé Gaudy-Lefort : « POMMEAU. On dit pommeau de selle, pommeau d’épée, mais non pas pommeau de canne ; le mot propre est POMME : une canne à pomme d’or. » La même observation est reprise dans le « Nouveau glossaire génevois » (1852) et dans le « Glossaire neuchâtelois » (1867). Ce qui concerne le français parlé en Suisse romande était aussi valable pour la France.

En conclusion, si l’on est un puriste, on doit dire la « pomme » et non le « pommeau » d’une canne, ce dernier terme ne concernant que l’épée. Mais l’usage en a fait des synonymes et, aujourd’hui, le pommeau semble même avoir supplanté la pomme.

L’une des illustrations représente une canne à pommeau Napoléon, réplique de celle du musée des arts décoratifs, à « pommeau à métal argenté », indique le site bijouxmaconniques.com. L’autre, un pommeau d’épée (d’après le site machelle.adjatan (expressions françaises : épée de Damoclès).

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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