Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
MARI TROMPE ET CANNE PLOMBEE, PAR MAUPASSANT (1889)

Parmi les nombreuses nouvelles de Guy de MAUPASSANT (1850-1893) figure « Un soir », qui fut publiée en 1889, d’abord dans « L’Illustration » puis dans le recueil « La Main gauche ».
Le narrateur rencontre à Bougie un ancien camarade d’études, Trémoulin, qui lui raconte sa vie matrimoniale. Sa jolie femme et lui, établis libraires à Marseille, voient leur boutique fréquentée par des habitués :
« les plus assidus étaient M. Montina, un rentier, un grand garçon, un beau garçon, un beau du Midi, à poil noir, avec des yeux complimenteurs, M. Barbet, un magistrat, deux commerçants, MM. Faucil et Labarrègue, et le général marquis, de Flèche, le chef du parti royaliste, le plus gros personnage de la province un vieux de soixante-six ans. (…) »
Un jour, il surprend sa femme là où elle ne devait pas se trouver puis d’autres épisodes font naître en lui une jalousie dévorante et un terrible désir de châtiment. Il pense que l’amant de sa femme est Montina :
« La figure de Montina passait sans cesse devant mes yeux. Je le voyais, ce grand bellâtre aux cheveux luisants, lui sourire dans le visage, et je me disais : « C’est lui. ». Je me faisais l’histoire de leur liaison. Ils avaient parlé, d’un livre ensemble, discuté l’aventure d’amour, trouvé quelque chose qui leur ressemblait, et de cette analogie avaient fait une réalité.(…) »
Il finit par découvrir le lieu de leur rendez-vous et, armé d’une canne plombée, il y pénètre, bien résolu à tuer l’amant et l’épouse infidèle…
« La porte de leur cabinet devait m’être ouverte, et j’arrivais, à l’heure convenue, avec la résolution formelle de les tuer. Depuis la veille je voyais la scène comme si elle avait déjà eu lieu ! J’entrais ! Une petite table couverte de verres, de bouteilles et d’assiettes, la séparait de Montina. Leur surprise était telle en m’apercevant qu’ils demeuraient immobiles. Moi, sans dire un mot, j’abattais sur la tête de l’homme la canne plombée dont j’étais armé. Assommé d’un seul coup, il s’affaissait, la figure sur la nappe ! Alors je me tournais vers elle, et je lui laissais le temps quelques secondes – de comprendre et de tordre ses bras vers moi, folle d’épouvante, avant de mourir à son tour. Oh ! j’étais prêt, fort, résolu et content, content jusqu’à l’ivresse. L’idée du regard éperdu qu’elle me jetterait sous ma canne levée, de ses mains tendues en avant, du cri de sa gorge, de sa figure soudain livide et convulsée, me vengeait d’avance. Je ne l’abattrais pas du premier coup, elle ! Tu me trouves féroce, n’est-ce pas ? Tu ne sais pas ce qu’on souffre. Penser qu’une femme, épouse ou maîtresse, qu’on aime, se donne à un autre, se livre à lui comme à vous, et reçoit ses lèvres comme les vôtres ! C’est une chose atroce, épouvantable. Quand on a connu un jour cette torture, on est capable de tout. Oh ! je m’étonne qu’on ne tue pas plus souvent, car tous ceux qui ont été trahis, tous, ont désiré tuer, ont joui de cette mort rêvée, ont fait, seuls dans leur chambre, ou sur une route déserte, hantés par l’hallucination de la vengeance satisfaite, le geste d’étrangler ou d’assommer.
Moi, j’arrivai à ce restaurant. Je demandai : « Ils sont là ? » Le garçon vendu répondit : « Oui, monsieur », me fit monter un escalier, et me montrant une porte : « Ici », dit-il. Je serrais ma canne comme si mes doigts eussent été de fer. J’entrai.
J’avais bien choisi l’instant. Ils s’embrassaient, mais ce n’était pas Montina. C’était le général de Flèche, le général qui avait soixante-six ans ! Je m’attendais si bien à trouver l’autre, que je demeurai perclus d’étonnement.
Et puis… et puis… je ne sais pas encore ce qui se passa en moi… non… je ne sais pas ! Devant l’autre, j’aurais été convulsé de fureur !… Devant celui-là, devant ce vieil homme ventru, aux joues tombantes, je fus suffoqué par le dégoût. Elle, la petite, qui semblait avoir quinze ans, s’était donnée, livrée à ce gros homme presque gâteux, parce qu’il était marquis, général, l’ami et le représentant des rois détrônés. Non, je ne sais pas ce que je sentis, ni ce que je pensai. Ma main n’aurait pas pu frapper ce vieux ! Quelle honte ! Non, je n’avais plus envie de tuer ma femme, mais toutes les femmes qui peuvent faire des choses pareilles ! Je n’étais plus jaloux, j’étais éperdu comme si j’avais vu l’horreur des horreurs ! »
Et Trémoulin s’enfuit…

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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