Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LES RUADES DE PEGASE (2)

Voici la suite de cette série extraite du long article de Monsieur Ian Geay – Editeur (merci pour cette contribution) !

« Les ruades de Pégase
une histoire littéraire à bâtons rompus »

…Le but de l’auteur n’est donc pas tant de s’attacher de manière fétichiste à l’usage du bâton dans les rixes et les affaires courantes, que de signifier aux modernes que nous sommes qu’au XVIIe siècle, tout gentilhomme était rempli de dédain pour les écrivains et qu’accessoirement, c’était le bâton que les courtisans considéraient généralement comme l’ultima ratio avec les gens de rien. À leurs yeux, les auteurs en titre étaient gent bâtonnable et partageaient avec les chevaux le sort d’être fouettés et battus par leurs maîtres. Autant dire qu’on les bâtonna souvent afin qu’ils n’oublient pas la distance qui les séparait de ceux qui tenaient le manche, la raison la plus oiseuse fournie par Fournel pour expliquer cette délicate habitude étant que le gentilhomme préférait se venger d’une infériorité intellectuelle par la supériorité de la force. Et d’illustrer son propos par quelques vers écrits par Courval-Sonnet aux alentours de 1621.
Qui donc voudroit escrire en temps si perilleux sans s’exposer en butte aux esprits orgueilleux qui feront de nos vers une capilotade,
ou bien leur donneront la gesne ou l’estrapade ?

« Traiter en poëte » est alors un terme reçu et vaut pour la rouste que ne manquent pas de flanquer les courtisans aux petits grimauds et barbouilleurs de papier qu’ils méprisent, comme à tous les malchanceux qui passent sous leurs bâtons et qui ne valent pas mieux. C’est un signe qui ne trompe pas.

Si par ailleurs nous empruntons tous les exemples qui illustrent cet article à l’ouvrage de Victor Fournel, précisons que ce dernier puisa l’ensemble de ses références chez Tallemant des Réaux qui semble avoir consigné en son temps chaque coup de bâton tombé sur le dos d’un écrivaillon en titre à l’instar de Bautru, qui a beaucoup pris, de Vauquelin des Yveteaux, de l’illustre Montmaur ou de la Chapelle, qui appelait la trique de ses vœux. L’anecdote que nous retiendrons de cette vaste bastonnade, car elle annonce le vent qui tourne, est celle de Boissat, racontée également dans l’histoire des Académies de Pellisson. L’auteur de l’Histoire négrepontine, connu pour ses duels et surnommé l’Esprit, reçoit « son brevet de poëte » au cours d’un bal où déguisé en femme, il manque de respect à madame la comtesse de Sault.

Bâtonné d’importance par les valets du comte, lieutenant du roi dans le Dauphiné, l’académicien a l’outrecuidance d’exiger réparation d’honneur là où la bienséance attendait de lui, « avec l’humilité et la résignation convenables », qu’il accepte en silence le châtiment de son audace. Gentilhomme de la chambre de Gaston d’Orléans, comte palatin de par le vice-légat d’Avignon, et ancien militaire, M. de Boissat ne voulut pas souffrir que l’illustre Académie, novice de trois années, fut ainsi avilie dans sa personne, et il en appela à la protection de Richelieu pour laver l’affront. Au bout de treize mois de négociations et de pourparlers, l’écrivain parvint, grâce à l’intervention de la noblesse dauphinoise, à obtenir réparation, et l’on mit un bâton entre les mains de l’offensé, « pour en user comme bon lui semblerait, suivant les termes du procès-verbal, sur le dos des valets qui l’avaient frappé, et qui se tenaient agenouillés à ses pieds ». Pas chien, Boissat lâcha le bâton comme on lâche l’affaire.

Il est encore trop tôt pour bousculer les mœurs d’un siècle de par trop peu éclairé. Aussi le pont neuf, patrie favorite des faiseurs de gazettes, de pasquins et de couplets satiriques demeure-t-il encore la patrie des coups de bâton au XVIIe siècle ! Et s’il est rare que les grands seigneurs se commissent eux-mêmes dans ces basses œuvres, leurs laquais et capitaine des gardes se chargeaient du baston. Plusieurs, comme le duc d’Epernon, – le plus grand batteur du royaume selon Fournel –, avaient leurs donneurs d’étrivières gagés ! Ce qui n’empêche pas Jacques Vallée Desbarreaux d’être frappé par un simple valet et ce, en son propre nom. C’est que l’impudent, pendant un bal encore, se crût malin d’ôter la perruque d’un valet quelque peu vindicatif qui, irrité par cette humiliation, lui cassa la trogne, derrière une porte, comme le font les gens sans éducation. A coups de pogne et de gourdin. Le condisciple de Descartes ne prit pas ombrage de ce châtiment, habitué qu’il fut de se faire rosser par petits et grands bourreaux. On dit qu’il s’exerçait en compagnie de M. Aubry à battre et à être battu avec grâce comme on apprend aujourd’hui la boxe et l’escrime.

Frappé à Venise par on ne sait qui, battu par Villequier qui, dans une débauche, lui rompit une bouteille sur la tête et lui donna mille coups de pieds dans les reins, bastonné par des paysans de Touraine qui attribuaient la gelée de leurs vignes à ses propos impies, il avait, vous le constatez, le dos large. Un jour de juin 1623, « il se rendit à la foire du Landit avec Théophile, il se fit rouer de coups sur le grand chemin de St Denis par la compagnie d’un procureur au châtelet » dont il avait apostrophé vertement la partie féminine et se vengea sur la personne des sergents qui venaient pour l’arrêter à la réquisition du procureur. Troisième principe, le bleu appelle le bleu.

…à suivre…

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