Les pommeaux de cannes de compagnons ont déjà fait l’objet de plusieurs articles sur ce site car il est intéressant d’en montrer la diversité selon les époques et les corps de métiers.
En effet, au sein d’un même compagnonnage de métier, ils ont connu une évolution au fil des ans. Il ne s’agit d’ailleurs pas, à notre connaissance, de modifications décidées par un organe central mais d’usages répétés à partir d’une période puis entérinés par les compagnons, avant que d’autres modifications surviennent.
La part des choix individuels était d’ailleurs grande jusqu’à ce que le fabricant BRON, à Lyon, puis le compagnon PROUD, à Oullins, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, n’acquièrent le monopole de leur confection. Ayant fabriqué des estampes pour marquer les pastilles métalliques des pommeaux ou des modèles pour graver celles en corne ou en ivoire, ils ont en quelque sorte normalisé les dessins et textes de ces pommeaux.
On en a un bon exemple avec la pastille du compagnon sabotier-formier JAUTROU, ici reproduite, si on la compare avec celle de la canne du compagnon sabotier CLEMENT (voir la photo illustrant l’article du 19 décembre 2010 : Les pommeaux de cannes de compagnons (2).
Procédons au jeu des différences :
La pastille de la canne du compagnon CLEMENT est de 1867, celle de JAUTROU de 1897. En trente ans, beaucoup de choses ont évolué au sein du compagnonnage des sabotiers.
Sur la plus ancienne l’identité civile du compagnon s’efface au profit de son surnom : C.O. Tourangeau l’Intelligent (C. O . sont les initiales de Clément Octave). Sur celle de Jautrou, on lit : « L. Jantrou (avec une faute, c’est Jautrou Pierre Léon, dont le prénom usuel était Léon) dit Tourangeau le Bien Décidé ».
Le métier est mentionné, sur la première, par les initiales C.S.D.D., c’est-à-dire « sabotier du Devoir », alors que sur l’autre les initiales C.S.F. signifient « sabotier-formier du Devoir ». C’est qu’entre 1867 et 1897, les compagnons sabotiers ont décidé d’admettre également (en 1882) les formiers et les galochiers, les produits fabriqués l’étant avec les mêmes outils que ceux des sabotiers et fabriqués souvent par eux. Les formes sont utilisées par les cordonniers pour « monter » les chaussures ; les galoches sont des semelles de bois dont le dessus est couvert de cuir.
La date et la ville de réception de Clément sont absentes, alors que sur la canne de Jautrou figure la ville de réception : Bordeaux. La date n’est pas mentionnée (il fut reçu le 18 avril 1897), probablement par manque d’espace.
Sur l’une et l’autre pastille, les initiales sont triponctuées à la manière maçonnique.
Le « blason », c’est-à-dire l’assemblage des outils du métier, comporte dans les deux cas la hache à bûcher et le paroir, mais dessinés avec quelques variantes. Sur la pastille de la canne Jautrou figure en plus un sabot. Par ailleurs, y sont mentionnées les quatre lettres U.V.G.T., initiales de vertus en honneur chez les sabotiers.
Si dans les deux cas le pommeau est en corne et à huit pans, la pastille la plus ancienne est en os gravé (ou en ivoire ?) et la plus récente en métal argenté (maillechort).
Voilà quelques éléments qui permettent de « faire parler » un objet, en s’aidant de diverses sources. On lira les notices biographiques et découvrira les visages des deux compagnons sur la base GENEALOGIE du site du musée du Compagnonnage de Tours.
En remerciant Laurent Bastard pour ce nouvel article