Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LES BATONS DES ENFANTS DU FAUBOURG (1792)

Nous avons déjà évoqué les heurts qui opposèrent les tenants de courants révolutionnaires en 1795 (voir l’article : Batailles entre faubouriens et petits sucrés (1795). Mais dès 1792, des dissensions opposèrent les sans-culottes et les Feuillants, plus modérés. C’est du moins ce qui figure dans « Les Enfants du faubourg », un roman populaire historique de Thédore LABOURIEU (né en 1819 ou 1824, mort en 1875, selon diverses sources) et A. ANDREI. A partir du 12 mars 1876, ce roman fut publié en feuilleton dans le « Journal du dimanche ».

La première livraison comporte une scène au cours de laquelle se rencontrent sur la place Vendôme deux groupes de révolutionnaires, au pied de la statue de Louis XIV, abattue. Les uns, les sans-culottes, conduits par un nommé Finet, dit Brutus, et son compère Lagingeole, dit Caracalla, enragés et voleurs, et un autre, celui des Feuillants, des « enfants du faubourg » ou « lurons », composés de charbonniers, déchargeurs et postillons conduits par Keller, Bluckmann et Fanferlot. Les premiers ont des fusils et les autres des bâtons. Voici quelques extraits de cette rencontre qui se termine par une solide raclée administrée (à coups de poing) par Keller à Finet.

« Ces hommes, coiffés de grands chapeaux rabattus, armés de bâtons, paraissaient appartenir à la classe des charbonniers et des déchargeurs ; ils avaient à leur tête trois gaillards, trois adolescents d’une force herculéenne, dont les accoutrements divers, bizarres, bien tranchés, contrastaient avec les habits noirs et blancs des hommes de la troupe. (…) – Si tu fais feu, je te suspends à la première lanterne pour te faire voir clair dans les décrets de la Convention ! Entends-tu, citoyen, ajouta le même homme, en rabaissant aussitôt de son bâton le canon d’un fusil qu’une sentinelle dirigeait déjà vers sa poitrine. (…) Les trois jeunes gens s’avançaient toujours, défiant du geste et du regard les sans-culottes interdits sous les bâtons des nouveaux venus. (…) Les trois jeunes gens, le bâton en avant, s’écrièrent : – Au nom de la Convention, bas les armes ! (…) (L’un des compagnons) tenait son bâton comme le manche de son fouet à triple noeud. (…) Le troisième compagnon (…) avait un bâton à la main, mais plus élégamment façonné.(…) Les trois enfants du faubourg, sur les paroles d’un des leurs adressées à Brutus, s’étaient de plus en plus avancés contre lui, toujours le bâton en l’air. (…) – Tiens, c’est toi, citoyen Keller (…) Cà ! parlez et baissez un peu vos bâtons, pour voir ce que vous voulez, mes aristocrates ! (….) – Encore faut-il savoir ? demanda Brutus en donnant un coup de pied à Caracala pour l’empêcher de fuir en présence du luron qui le regardait dans les yeux en faisant toujours tournoyer son bâton. (…) Déjà les sans-culottes s’étaient ressérés autour de Brutus, les piques en avant, sur le geste énergique du postillon ; déjà aussi ils étaient imités par les charbonniers et les déchargeurs placés derrière les lurons, quand le plus grand des trois s’avança à son tour ; il reprit avec sang-froid, en faisant siffler l’air de son bâton noueux et flexible … »

Suivent la lecture des deux ordres adressés aux groupes opposés, leur enjoignant de se saisir des contre-révolutionnaires. Mais celui des enfants du faubourg émane du maire de Paris, ce qui leur donne autorité sur Brutus et ses sans-culottes, dont l’ordre n’est signé que d’un officier municipal. Brutus ne veut pas céder :

« Pour rester à la même place, aimable sans-culotte, répondit Keller en s’avançant contre Brutus malgré ses menaces, il faudrait que tu pusses d’abord porter ton grand sabre. Prends garde ! il va te faire faire la bascule ; donne-le moi, histoire de ne pas te fatiguer, mon bijou ! – A un Feuillant ? fit Brutus en bondissant, l’arme haute, sur le luron, jamais ! – Vous l’entendez, dit Keller au groupe des déchargeurs, pendant que Fanferlot et Bluckmann levaient aussi leurs bâtons sur les sans-culottes ; vous l’entendez tous ? le citoyen Brutus-Finet m’appelle fainéant ! – Moi, j’ai dit fainéant ! reprit Brutus en se reculant sous le bâton de Keller, qui, d’un coup de moulinet, venait de faire sauter son sabre à dix pas ; non, je n’ai pas dit fainéant, j’ai dit Feuillant ! »

La tension monte, Brutus ne voulant pas céder son commandement à Keller :  » – Mort aux Brissotins ! mort aux Feuillants ! répétèrent les sentinelles en se ruant contre les déchargeurs qui, de leur côté, levaient leurs bâtons, pendant que dans la foule on voyait quelques fusils les coucher en joue. – Un instant ! hurla la grosse voix du postillon, jouant des poings et des coudes pour écarter la foule, tandis que Bluckmann faisait relever, de sa canne, les canons de fusils des patriotes trop exaltés. Un instant ! c’est une affaire à régler entre chefs. (…) Et le postillon, en présence des adversaires déjà en garde, frappa dans ses mains, pendant que Bluckmann se servait de sa canne pour élargir le cercle autour des deux combattants. »

Et Brutus roula dans la poussière sous les coups de Keller (voir l’illustration). Les hommes aux bâtons étaient les vainqueurs des porteurs de fusils et de sabres…

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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