Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE VIEUX GROGNARD, PAR GAVARNI (1847)

Le dessinateur Gavarni (1804-1866) n’est pas un inconnu pour les visiteurs de ce site. Nous avons montré plusieurs dessins de lui en juillet et août 2010 (rubrique Canne et bâton dans l’art), où ses personnages étaient porteurs de cannes, bâtons ou queue de billard. En voici un autre, publié dans le Magasin pittoresque de mai 1847, p. 168.
Le commentaire, intitulé « Le Bélisaire de la grande armée » fait allusion au grand général romain de ce nom qui finit sa vie dans la pauvreté, conduit par un enfant, après avoir connu la gloire et la victoire. Le peintre Gérard représenta la scène en 1839.
Or, ici, Gavarni nous montre aussi un enfant tendant un chapeau aux passants, alors qu’un vieillard est assis derrière lui, porteur d’un bâton démesuré. C’est une autre illustration du thème du « bâton de vieillesse » déjà évoqué sur ce site.

Voici en quels termes le commentateur interprète la gravure, après avoir rappelé le récit de Bélisaire : « Dans la gravure que nous donnons ici, rien de tout cela ! Le vieillard est beau, mais de la beauté du soldat. Ce n’est point le vainqueur des barbares, le grand général dont la main a pu soutenir seule, pendant de longues années, l’empire croulant ; c’est l’homme du peuple qui suivit son empereur à travers l’Europe domptée, et que l’hiver de Russie a vaincu. Le front du Bélisaire romain pouvait se redresser, car il n’avait à supporter que sa propre infortune ; mais le Bélisaire de la grande armée baisse la tête sous le souvenir d’un désastre national. Ce qui le rend pensif, ce n’est ni son indigence, ni ses infirmités, ni sa vieillesse ; c’est le souvenir de son drapeau perdu au milieu des glaces de la Bérésina, de son régiment disparu, de son chef mort dans une île, prisonnier de l’étranger. Il y a entre sa douleur et celle du général romain, la différence des natures et des époques. »

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

2 Comments to “LE VIEUX GROGNARD, PAR GAVARNI (1847)”

  1. [...] du vieux soldat victime de l’ingratitude, conduit par un enfant (voir l’article : Le vieux grognard, par Gavarni (1847), du 26 juillet 2011). Le commentaire de cette oeuvre fait d’ailleurs référence à [...]

  2. gelé dit :

    Dominique Millot, l’homme et sa légende.

    Au fil des découvertes, le personnage de Dominique Millot devient plus complexe. A l’origine, nous avions un buste, celui de la tombe et une citation à l’origine mystérieuse.
    Les recherches qui ont permis de reconstituer le parcours du brigadier Millot de la gloire à la misère. C’est le fruit de la compilation de témoignages très divers. Récits et souvenirs parfois contradictoires, suivant les époques, mais qui vont tous dans le même sens. Nous avons maintenant un homme et sa légende.

    Le récit final de Marco de Saint-Hillaire, de 1841 c’est la cerise sur le gâteau. Car il à reçus les confidences de la bouche même de Dominique Millot ! Certes après plus de 20 ans les souvenirs du brigadier ont été probablement magnifier, et le rédacteur fervent disciple de l’Empereur a encore embelli la petite et la grande histoire. Mais avec peu de différence, avec les six récits et témoignages qui confirment l’extraordinaire épopée de Dominique Millot
    Résultat la notice biographique, anecdotique écrite dans le style de l’époque est très romantique ! Il faut attendrir les souscripteurs, faire pleurer dans les chaumières ? Ravivée les souvenirs les plus glorieux du premier empire.

    Large extrait de la notice……par Emile Marco de Saint Hillaire rédacteur littéraire de la revue le siècle, ancien page de Napoléon.

    Le Bélisaire
    De la grande armée
    Notice
    Biographique et anecdotique
    Sur
    MILLOT
    Ex-brigadier au 8° régiment de cuirassiers
    Sous l’empire
    Paris 1841: se distribue au profit de Millot chez tous les marchand de nouveautés.

    Avant-propos
    La touchante et glorieuse infortune du vieux soldat qui a fourni le sujet de deux articles insérés dans le journal le Siècle, a inspiré à notre poète national, Victor Hugo, les quatre vers qui suivent:
    Aveugle comme Homère et comme Bélisaire,
    N’ayant plus qu’un enfant pour guide et pour appui,
    La main qui donnera du pain a sa misère
    Il ne la verra point, mais dieu la voit pour lui.

    Ce quatrain, placé au bas du portrait du brave Millot, publié déjà à son profit, et pour l’exécution duquel M Lalaisse, professeur de dessin à l’école Polytechnique, a bien voulu prêter son habile crayon. Nous faisons des vœux pour que le concours honorable du grand poète et du généreux artiste puisse venir un peu en aide au pauvre soldat aujourd’hui aveugle et chargé d’une nombreuse famille.
    Organisateur de la souscription; P C Prugneaux de Moutrot (54) Yvau Muller et A D Pécadier compositeur de la chanson  » du Bélisaire  » Gaétan Murat député, et la revue le Siècle
    P N°1
    En l’an x de la république, Millot, déjà orphelin, étaient en condition à Crézilles, (54) chez des cultivateurs, lorsque, voulant concourir à la défense de la patrie, de nouveau menacée, il s’engagea, le 10 thermidor de la même année, comme volontaire dans le 8° de cuirassiers.
    Sa bonne conduite, son exactitude à remplir ses devoirs militaires, lui valurent bientôt après les galons de brigadier. Malheureusement, n’ayant reçu aucune espèce d’instruction, il n’obtint jamais d’autre avancement et fit toutes ses campagnes avec ce grade infime, bien qu’il restât dans le même régiment.
    Ce fut au passage du Tagliamento qu’il donna, pour la première fois, des preuves de sa bravoure et de son intrépidité en tuant de sa main, dans un engagement, trois hussard hongrois.
    A la bataille de Heilsberg, en Prusse, il sauva la vie à Murat, alors grand-duc de Berg, avait atteint l’arrière-garde de l’armée ennemie, commandée par Bagration. A deux heures le maréchal Soult, se trouvant en position, débusqua d’un bois et se porta en avant. Nos troupes arrivèrent successivement et marchèrent sur Heilsberg en forçant l’ennemi à se replier jusque dans ses retranchements. Bientôt il fut attaqué par les fusiliers de la garde, dont Napoléon avait confié le commandement à son aide-de-camp Savary, et les divisions Verdière et Saint-Hilaire se trouvèrent engagées sur les palissades. En vain se battit-on avec acharnement sur le front de toute la ligne, aucun succès décisif n’avait encore été obtenu de notre côté; il était cinq heures du soir. Tout à coup, au milieu d’une charge brillante fournie par les cuirassiers, Millot voit Murat, l’impétueux et brillant Murat, enveloppé par un peloton de dragons de la garde impériale russe. Sans s’effrayer du nombre, l’intrépide brigadier pousse son cheval et s’élance au secours du prince.
    Au même instant celui-ci tombe; une de ses jambes, prise sous le ventre de son coursier percé de coups, l’empêche de se relever. C’est fait de lui. Millot met pied à terre, frappe d’estoc et de taille, tue à droite, blesse à gauche: c’est un géant aux prises avec Pygmées! Le prince, délivré, s’élance sur un cheval abandonné, un pied chaussé et l’autre nu, car une de ses bottes est restée sous la monture, et disparaît dans un tourbillon de poussière et de fumée.
    Mais pour Millot cette botte abandonnée semble être encore un trop noble trophée pour les russes; il ne veut pas même leur laisser cette dépouille; et, tandis qu’il fait tous ses efforts pour s’en emparer, les dragons, revenus à la charge, font pleuvoir sur sa tête tant de coups de sabre, que son casque n’y résiste pas et est mis en pièces.
    Toute-fois, heureux possesseur de la botte conquise sur l’ennemi, et quoique aveuglé par le sang qui coule de ses blessures, l’intrépide brigadier parvient à se dégager, remonte à cheval, et, par une volte-face pleine d’audace, s’élance de nouveau sur un autre groupe de Russes qui entoure M Feuillade, son commandant, qui, lui aussi, est tombé de cheval dans l’impétuosité d’une charge exécutée à la tête de son escadron. Dans ce second fait d’armes, Millot sauve de même la vie à celui-ci, le remet en selle, et ils rejoignent ensemble, toujours en combattant, l’étendard du régiment, au bruit des vivat et des applaudissements de tous les cuirassiers.
    Cependant l’armée ennemie était là tout entière; elle paraissait décidée à une défense opiniâtre. Déjà, par le feu de ses nombreuses batteries, elle nous avait fait essuyer de grandes pertes. Le général Roussel avait eu la tête emportée par un boulet, et le général d’Espagne, qui commandait la division des cuirassiers, était grièvement blessé. Murat, toujours placé au milieu du danger, avait eu un second cheval tué sous lui. La nuis seule fit cesser le combat, et les Russes, en pleine déroute, laissèrent encore cette fois nos aigles victorieuses sur le champ de bataille. ( 10 06 1807 ) quatre jour avant la grande victoire de Friedland. Qui éclipsera les combats d’Heilsberg, confus, meurtrier, incertains, sans vainqueurs ni vaincus.
    P N° 2

    Le même soir, le grand-duc de Berg, en passant la revue de toute la cavalerie placée sous son commandement, s’arrêta devant le front des cuirassiers et leur adressa des paroles flatteuses sur la belle conduite qu’ils avaient tenue dans cette journée.
    Leur colonel s’avança alors de quelques pas, et, agitant son sabre encore rouge du sang ennemi:
    - Prince! S’écria-t-il, faite l’inspection des armes de mes soldats, et vous verrez qu’il n’est aucun d’eux dont la lame ne soit comme la mienne.
    - Je le sais, colonel; aujourd’hui les cuirassiers se sont couverts de gloire.
    - Prince, reprit celui-ci; qui s’était aperçu que le grand duc de Berg n(avait qu’une botte, votre excellence aurait-elle été blessée à la jambe ?
    - Colonel, je n’ai pas eu cet honneur aujourd’hui, répond Murat en souriant. Quant à la botte qui me manque, il est un de vos soldats qui sait ce qu’elle est devenue. J’espère, ajouta-t-il d’un ton d’interrogation, que ce brave est encore parmi les vôtres et qu’il n’aura pas succombé ?
    - La voilà, votre botte ! s’écrie une voix de stentor. Et un brigadier des cuirassiers sort des rangs, tenant la bride de son cheval d’une main, son sabre de l’autre, et entre ses dents une botte de maroquin rouge brodée d’or: ce cuirassier, c’est Millot!
    Vive Dieu! Ma botte n’est pas prisonnière ! s’écrie Joachim en sautant gaîment à bas de son cheval. Viens, mon brave, viens, que je t’embrasse, car tu m’as sauvé la vie ce matin!
    Le prince et le brigadier s’embrasèrent, et après les plus franches étreintes: pour te récompenser comme tu le mérite, lui dit Murat, je veux te présenter moi-même à l’Empereur.
    Le lendemain de cette revue, un aide-de-camp de Murat arrive, le matin, dans le cantonnement des cuirassiers, demande le brigadier Millot et le conduit à l’état-major général, où le grand-duc de Berg accueille le brave soldat encore mieux que la veille. Il le prend par le bras et le conduit lui-même à Napoléon, qui, la veille aussi, a fait dresser sa tente sur le champ de bataille même de Heilsberg. En y arrivant, Murat trouve son beau-frère à déjeuner. – Sire, dit-il, j’ai l’honneur de présenter à votre Majesté l’un des plus intrépides soldats de son armée. Napoléon leva la tête et regarda fixement Millot, dont le front était couvert d’un bandage; puis il demanda d’un air indifférent;
    - Qu’a donc fait cet homme ?
    - Sire, il m’a sauvé la vie hier; sans lui j’eusse été sabré, ou ai mois fait prisonnier.
    - Comment cela ?
    - Sire, mon cheval avait été tué et une de mes jambes se trouvait tellement engagée sous lui, qu’il m’était impossible de me relever. J’ai su cela, interrompit froidement Napoléon. Ce fut alors, continua le prince que ce brave me vint en aide, car j’étais entouré par des dragons russes. qui ne m’eussent pas ménagé s’ils n’avaient trouvé dans ce brigadier un gaillard de nature à tenir bon contre leur régiment tout entier: non seulement, Sire, il m’a sauvé de leurs mains, mais encore il m’a aidé à me remettre en selle et à rejoindre mon état-major.
    - Brigadier! Demanda Napoléon en se levant avec vivacité, comment vous appelez-vous ?
    - Millot, mon Empereur, répondit celui-ci timidement.
    Et bien! Millot, je vous remercie pour le grand-duc de Berg et pour moi. En disant ces mots, d’une main l’Empereur, se découvrit légèrement et de l’autre fit au brigadier un geste de bienveillance. Sire ce n’est pas tout encore, ajouta Murat en voyant Napoléon se rasseoir; quoique blessé, comme le voit Votre Majesté, Millot a délivré quelques instants après son commandant ( le chef d’escadron Feuillade) qui comme moi, était tombé de cheval. Voyez, Sire, dans quel état les Russes lui ont mis la tête !
    P N° 3

    Napoléon; Cela ne sera rien, répliqua l’Empereur, de telles blessures ne sont jamais dangereuses, elles ne sont que glorieuses: dans quelques jours il n’y paraîtra plus. Napoléon voulut alors faire asseoir à sa table l’intrépide soldat qui n’avait point hésité à se dévouer pour le salut de son général et de son commandant, et lui dit d’un ton bref en lui montrant la place:
    - Brigadier! Asseyez-vous là, en face de moi.
    - Celui-ci obéit, L’empereur fit apporter un gobelet d’argent, le remplit lui même de vin de Chambertin, en versa une moindre quantité dans sien. ( en réalité de la « goutte ») Marco de st Hilaire connais le vin préfère de l’Empereur!
    Je bois à votre santé, mon brave, lui dit-il en lui tendant son gobelet. Millot hésitait à trinquer avec l’Empereur et n’osait avancer le bras. Allons donc! fit Napoléon en touchant avec son gobelet celui du cuirassier, fais-moi raison! A ta santé !
    Oh mon Empereur, balbutia Millot qui pouvait à peine articuler une parole, tant son ravissement l’avait ému, c’est bien plutôt à la votre que je dois boire, moi, et tous mes camarades.
    -Soit! Répliqua Napoléon en souriant, buvons donc à la nôtre et à celle de tous ceux qui te ressemblent. Et il vida son verre: Millot en fit autant. Après que le gobelet du brigadier eut été rempli et vidé deux fois de cette manière, Napoléon quitta la table en disant au brigadier, qui s’était levé avant lui: Sans adieu, nous nous reverrons, Puis, s’approchant de Murat, qui avais passé familièrement son bras sous celui de son libérateur:
    -Joachim, ajouta-t-il, j’espère que tu auras soin de cet homme et que tu songeras à lui. Ah! Toujours, sire, répondit le prince. Le grand-duc de Berg voulut accompagner Millot jusqu’au lieu où était campé son régiment. Dés que les officiers supérieurs de cuirassiers aperçurent le prince, ils s’empressèrent d’aller à sa rencontre. Croyant qu’il allais désormais attacher Millot à sa personne, le commandant Feuillade lui dit: Au mois, mon prince, laissez-le-nous jusqu’après la campagne. Messieurs, je me garderais bien de priver un régiment tel que le vôtre de la présence d’un homme dont il ne peut qu’être fier; seulement j’étais bien aise de vous voir et de vous le ramener moi-même.
    -Toujours le premier dans les charges et le dernier dans les retraites, Millot avais déjà glorieusement gagné quinze blessures, lorsque la bataille d’Esslig fut livrée par Napoléon. Avant que les cuirassiers ne s’ébranlassent pour fondre sur l’ennemi, le général d’Espagne, leur commandant, avait dit à l’Empereur: Sire, vous verrez mes gros talons entrer dans les carrés autrichiens comme dans du beurre. Deux charges s’exécutèrent: deux fois ramené, le général d’Espagne charge une troisième fois, après avoir adressé à ses cuirassiers cette courte mais énergique harangue: Cuirassiers, en avant! Au nom de Dieu, en avant, mes braves cuirassiers
    -Ce fut à cette troisième attaque que l’intrépide général fut tué, criblé de coups de lances.
    - Quant à Millot, il entra trois fois dans le carré, et eut chaque fois un cheval tué sous lui, entre autre le fameux Queue de Rat, qui fit un saut de quinze pieds, en s’élançant, la première fois, sur les lignes hérissées de baïonnettes. A la troisième attaque, Millot avait tué d’un coup de pointe un officier supérieur autrichien. A la fin de la journée, son colonel lui ayant demandé, d(un ton de reproche, s’il n’aurait pas pu le prendre vivant; Que voulez-vous! Lui répondit-il, je ne donne jamais qu’un coup, mais je tâche qu’il soit bon.
    A Essling, Millot reçut deux blessures. Dans les différends engagements qui suivirent cette sanglante bataille, à la tête de quel=que pelotons de cuirassiers, l’ardent brigadier porta l’épouvante dans les avant-poste de l’ennemi.
    P N° 4

    Millot, toujours infatigable, il était partout où il y avait des coups de sabre à donner et des blessures à recevoir. Trois mois après, le 15 août 1809, l’empereur le décorait de sa main.
    Les divisions de grosse cavalerie étaient rassemblée dans la vaste plaine qui est en avant de Schoenbrünn. Arrivé devant le front du 8° régiment de cuirassiers, Napoléon, entouré d’un brillant état-major, s’adressa au colonel, et lui ordonna de faire mettre pied à terre à ses soldats. Quel est celui de vos hommes, lui demanda-t-il ensuite, qui a déployé le plus de bravoure dans cette campagne ?
    Sire, répondit ce chef de corps qui savait parfaitement qu’il s’agissait de décorations à accorder, mon régiment en compte un grand nombre qui depuis long-temps ont mérité la croix. Napoléon fit un geste d’impatience et reprit: Colonel, répondez catégoriquement à ma question: Quel est celui de vos sous-officiers ou soldats qui s’est le mieux conduit ?
    Sire , c’est un ancien brigadier. Dites à son commandant de le faire sortir des rangs et de me l’amener. Millot , car c’était lui, fut conduit à l’Empereur par M Feuillade.
    - j’ai vu cet homme quelque part, dit Napoléon en regardant attentivement le brigadier.
    - Sire, c’est Millot: déjà il a eu l’honneur d’être présenté à votre Majesté, il y a deux ans, par son Excellence le grand-duc de Berg. Oui, je le reconnais maintenant: c’était à Heilsberg.
    Puis s’adressant à Millot, il ajouta avec une sorte d’enjouement: Tu vois bien que tu n’es pas mort de tes blessures. Combien en as-tu reçu depuis ? En tout dix-sept, mon Empereur dont cinq sur le tête. Oh ! fit Napoléon en souriant, celles-là ne sont pas dangereuses; je te l’ai dit: les blessures reçues à la tête ne comptent que pour mémoire. Ainci, qui de 17 paie 5, reste 12. Tiens, voilà pour régler nos comptes jusqu’à ce jour.
    - En disant ces mots, Napoléon prit une croix des mains de son aide-de-camp Savary et la fixa lui-même, à l’aide d’une épingle d’or, sur l’avant-bras de Millot, en ajoutant:
    - Fait en sorte de te monter toujours digne de la récompense que je t’accorde.
    - Tes camarades ne devront pas s’en montre jaloux; car en te décorant, l’honneur que tu reçois rejaillit sur eux.
    Si l’on songe combien l’Empereur se montrait avare de décorations, on comprendra la joie que dut éprouver Millot. Le 8° de cuirassiers ne comptais encore, à cette époque, nous a-t-on dit, que deux croix parmi les sous-officiers et soldats. La première avait été donnée, à Milan, au cuirassier Ravel, la seconde au maréchal-des logis-chef Bourlingrin pour s’être emparé de deux étendard russes à la bataille d’Eylau: Millot obtenait la troisième
    Quoique n’ayant jamais compté une seule journée d’hôpital dans sa longue et périlleuse carrière, les dix-sept blessures que Millot avait reçues l’avertirent bientôt que la fatigue des camps n’était plus faite pour lui; et, au commencement de 1810, il sollicita son envoi dans la gendarmerie. Il fut incorporé, en qualité de simple gendarme, dans la 33° légion, à Groningue, dont le colonel Boussart était chef. Dans cette arme nouvelle, Millot donna encore des preuves de son courage et de son dévouement. En 1814, fait prisonnier de guerre à Reims, où il avait été envoyé par la suite de l’envahissement du territoire par les coalisés, il aima mieux s’évader sans vêtements que de rester au milieu d’un pays où le drapeau de la France ne flotait plus. Il perdit, par suite de cette retraite un peu précipitée, comme il l’appela lui-même, tout ce qu’il possédais; mais il rejoignit l’armée de Napoléon à troyes.
    P N° 5
    En gras Citation de l’empereur Napoléon 1er au 8° régiments des cuirassiers! Citation reproduite sur la tombe de Dominique Millot a Crezilles.
    En 1816, à Quimper, soixante-sept gendarme de la même compagnie, lui compris, furent renvoyés du corps comme soupçonnés de bonapartisme. Aucune indemnité, aucun traitement ne furent accordés à Millot. -: Mon général, dit-il à cette occasion au général comte d’Hoffiz, qui signa son congé définitif, mieux vaudrait pour moi qu’on me tirât un coup de pistolet dans l’oreille, comme à un cheval morveux, que de me chasser comme on le fait aujourd’hui. Que voulez-vous que je devienne ? Je ne puis me faire ni mendiant ni brigand !
    Force fut donc à Millot de retourner dans son pays natal, et, faute de connaître aucun autre métier que celui des armes, de se livrer aux travaux de la terre pour faire vivre sa nombreuse famille. Malheureusement en 1829, épuisé par le sang qu’il avait perdu sur les champs de bataille, par les fatigues d’une vie toute consacrée à la patrie militante, Millot devint aveugle. Il était père de sept enfants, dont six filles, et leur mère était impotente. Aussi, en 1830, lors du voyage que Louis-Philippe fit dans l’est de la France, le pauvre soldat lui fut-il présenté par les autorités de la ville de Nancy, comme jadis il l’avais été à Napoléon par Murat. Le roi l’accueillit avec une bienveillance extrême, s’entretint un moment avec lui et lui dit en présence du maréchal Soult.
    -Mon brave Millot, je vous quitte, mais je ne vous oublierai pas.

    Cette parole devait rester gravée dans le cœur du vieux soldat. Il s’en souvint, et, au bout de dix ans en 1840, il se dit : »Infirme et aveugle, je vais sans doute bientôt mourir; mais, avant que dieu m’appelle à lui, je veux aller recommander au roi ma femme et mes enfants ».
    Et Millot vint à Paris comme nous l’avons dit, après s’être muni de pièces authentique qui pouvaient attester ses fait d’armes et de ses services.

    Parmi les nombreux certificats qui lui ont été délivrés, nous ne citerons que le suivant, parce qu’il les résume tous: Nous ,soussignés, certifions que le sieur Millot Dominique, ex-brigadier attaché à notre régiment( 8° cuirassiers de la grande armée) a sauvé la vie au prince Murat, alors grand-duc de Berg, à l’affaire de Heislberg ( Prusse 1807 ), et à l’un de leurs commandant, M Feuillade, à la même affaire. Nous certifions, en outre, que le susdit Millot est entré trois fois dans un carré autrichien à la bataille d’Essling ( Autriche 1809 ) Un certificat de la gendarmerie atteste que, lorsqu’il faisait partie de cette arme, il fut fait prisonnier de guerre à Reims, le 12 mars 1814, et que’ étant parvenu à s’évader, il perdit son cheval, ses armes, ses papier et tout ce qu’il possédait.
    Signé: Pernot, Schlecter, Cheneau, Mira, Thiery, Bruxelles, cuirassiers de 8°
    Ravel, maréchal des logis, Collot, et Hiebert, lieutenant, Molard, capitaine, Gobin major du 5° de chasseurs. Le maréchal-de-camp en retraite colonel Baron Merlin…..etc., etc…

    - »Versailles, 10 juillet 1833″ Comme Bélisaire, auquel l’a comparé notre poète national, Victor Hugo, le vieux soldat, appuyé d’une main sur son bâton et de l’autre sur son enfant, ira aux Tuilerie rappeler au roi sa promesse, au nom de la France, l’obole due au malheur et à la gloire, dans le casque du vieux cuirassier; car le roi des Français sera plus généreux pour millot que Justinien ne le fut pour Bélisaire.

    Pour info: Pour ces nombreux déplacements Dominique Millot dispose d’un « Passe-port d’indigent » avec secours de route. Il reçoit des aides dans les communes avec un itinéraire obligatoire, effectué en dix jours environs. Aveugle et guidé par un enfant.
    P N° 6

    Gérard Gelé. Méréville juillet 2008. gele.gerard@wanadoo.fr

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