Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE DUEL AU BATON DE CHODRUC-DUCLOS (1)

Emile DUCLOS dit CHODRUC-DUCLOS, fut un curieux personnage à la vie aventureuse et à la déchéance entretenue par lui-même. Né en 1774, 1775 ou 1780 à Bordeaux ou à Sainte-Foy, selon ses biographes, il était le fils d’un notaire et fut éduqué dans le respect de la monarchie. Aussi lorsque la Révolution éclate conserve-t-il, au péril de sa vie, ses convictions royalistes, et les gardera-t-il jusqu’à sa mort. Cet « incroyable » sous la Révolution, mondain à Bordeaux, engagé à Lyon contre les Républicains, puis dans l’armée de Vendée, espérait avec la Restauration la récompense de sa fidélité aux Bourbons. Mais son ancien ami, devenu ministre de la Justice, lui tourna le dos.
Duclos erra alors au Palais-Royal, aigri et misanthrope, couvert de haillons et portant une longue barbe, jusqu’à la fin de sa vie, vivant de la générosité de ses amis. Il était rancunier, sans illusion sur l’espèce humaine, provocateur, courageux, fier, prêt à défendre de nobles causes sans vouloir en retirer le moindre remerciement en espèces et libre comme l’air. On dirait aujourd’hui qu’il s’agissait d’un « anarchiste de droite ». Sa vie étrange fascina ses contemporains, qui, dès son vivant, écrivirent sa biographie ou assistèrent à ses nombreux procès. Le « Diogène du Palais Royal », « l’homme aux haillons », « l’homme à la longue barbe » mourut en 1842.
Chodruc-Duclos évoque à plusieurs reprises l’usage du bâton dans ses Mémoires, vraisemblablement apocryphes, publiés en 1843 sous le titre de « Mémoires de Chodruc-Duclos, recueillis et publiés par J. Arago et Edouard Gouin », à Paris, chez Dolin. Le texte intégral est consultable sur Google.books.

Dans le volume II, p. 30, par exemple, il nous explique pourquoi il n’aime pas les policiers : « On a toujours fait des croque-mitaines de ces limiers de la police, dont quelques-uns, en effet, se sont montrés d’une ignoble brutalité ; mais ce qu’il y a de plus hideux, selon moi, de plus effrayant, c’est leur costume.
Une canne à la main ! … on dirait vraiment qu’ils n’ont été institués que pour bâtonner ! Quant à moi, je crains bien plus une canne qu’une épée ; je me croirais, certes, plus blessé par un coup de baguette sur l’épaule que par un fleuret au travers du corps. »
Le coup de bâton était considéré comme humiliant pour les hommes de condition. Le bâton étant l’arme du peuple.
Il dut donc beaucoup souffrir de l’agression dont il fut victime à la suite de son intervention dans un différend conjugal (p. 92) : « Le surlendemain je fus victime d’une attaque nocturne ; quatre estafiers (laquais) me frappèrent à grands coups de bâton, à une heure du matin, au coin de la place du Palais-Royal ; et, malgré mes cris, nul soldat du poste ne vint à mon secours. Ma tête fut ouverte ; mes côtes et mes épaules brisées… »

Mais le passage le plus intéressant sur le bâton est celui qui se rapporte à son duel avec deux personnages qui l’avaient autrefois gravement offensé. L’affaire se déroule dans les années 1820-1830. Ayant découvert ces individus nommés Truchet et Tellim, il les provoque devant une nombreuse assistance, en disant que le premier, à Lyon, durant la Terreur, a déserté, trahi et livré son poste à l’ennemi par vénalité, et que le second est le fils d’un palefrenier et d’une mère dévergondée. Et il annonce : « Je me battrai au bois de Boulogne, avenue de Maillot : contre le Truchet, je me battrai au fusil ; contre le Tellim, au bâton. Les premières insultes sont venus d’eux : j’ai le choix des armes. »

Le jour du duel, il est accompagné de son ami Debucq, qui lui fait rencontrer son maître de bâton (p. 281 et suivantes) :
 » – Votre camarade ne vous avait pas trompé, dit à son tour une voix pointue qui glapissait vers nous ; vous êtes chez un ami, et la preuve…
Je vis s’avancer un individu portant des triques plein les mains.
Ce bizarre témoignage de sympathie eut, sur le premier moment, quelque lieu de m’étonner. Je pris le nouvel arrivant pour le cerbère ou un locataire du bouge, auquel Debucq avait joué une farce ; et dans tous les cas, je prenais mon élan pour une riposte vigoureuse (…)
- Choisissez, monsieur Duclos, me dit-il d’un ton familièrement câlin et en m’offrant son armée de cannes.
- Je choisis mon poing ! repris-je d’un air farouche et dans une attitude menaçante.
- Eh ! fou que tu es, tu ne vois donc pas ? …
- Je vois que je ne vois rien du tout, et je n’aime pas les gens qui vous parlent avec de semblables figures de rhétorique.
- Mais malheureux, ces figures de rhétorique sont pour toi.
- Pour moi ?
- Monsieur est mon professeur de bâton.
- Il fallait donc le dire plus tôt ; j’aurais été plus traitable.
- Oui, oui, trente fois oui, monsieur Duclos ; notre ami que voilà, et mon meilleur élève, par parenthèse, est venu m’avertir, il y a un instant, que vous aviez envie de vous aller escrimer une petite heure à la barrière : je me suis assez estimé heureux d’aider à vous procurer cet innocent plaisir. Etes-vous fort, monsieur Duclos ?
- Assez.
- Nous nous alignerons, si vous voulez bien.
- Vous avez donc beaucoup de temps à perdre ?
- Pourquoi cela ?
- Parce que ce serait chanter Femme sensible sur l’air de Polichinelle ; vous voyez bien que vous êtes une mauviette, et que du bout de mon petit doigt je vous ferais tourner comme une toupie.
- Peut-être.
- Quel Alcide du nord !
- Quand j’ai un bâton dans les mains, je tiens ma partie tout comme un autre.
- Je vous crois : quand vous avez un bâton et les autres rien.
- A armes égales.
- Je vous crois encore ; je n’ai jamais manié un bâton de ma vie que pour jeter les chiens par la fenêtre. »

(Et Duclos de fanfaronner en disant qu’il excelle au fleuret, au fusil, au pistolet, au poignet, jusqu’à ce que son ami Dubucq lui rappelle qu’ils sont attendus ….)

« Ces messieurs vont rejoindre la société, dit l’homme aux bâtons.
- Des amis, des amis intimes, repris-je.
- Alors, monsieur Debucq, choisissez pour monsieur Duclos.
- Ceux qu’il te plaira, répliquai-je : les plus gros, vas ; et dépêchons.
- Adieu, l’ami Debucq ; adieu, monsieur Duclos ; divertissez-vous bien.
Et monsieur le professeur Six-millions – je ris toujours en me rappelant ce nom, moins grotesque encore que le personnage – monsieur le bretteur Six-millions rentra pour échapper à nos remerciements, tant il était transporté de bonheur d’avoir quatre fois, dans la conversation, prononcé à pleine bouche : Monsieur Duclos. »

L’épisode du duel fera l’objet du prochain article…

L’illustration, représentant Chodruc-Duclos, est extraite de sa biographie figurant sur le site www.paris-pittoresque.com

Article proposé par Laurent Bartard. Merci :)

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