Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LA CANNE DE MAGNUS DANS « LA MAISON SUR LE RIVAGE » (1969) PAR DAPHNÉ DU MAURIER

En 1969 Daphné du MAURIER (1907-1989) publie « La Maison sur le Rivage » (The House on the Strand). Le narrateur, Richard Young, est invité à passer quelques jours dans le cottage de Kilmarth, en Cornouailles, par son vieil ami le professeur Magnus Lane. Il est seul dans cette vieille demeure et Magnus lui a demandé d’expérimenter une drogue qui permet de « voyager » dans le temps. Richard Young se trouve à plusieurs reprises propulsé au XIVe siècle, à l’emplacement et aux environs de la maison qu’il occupe et observe, invisible pour les gens de l’époque, des épisodes de la vie de divers personnages auxquels il s’attache. Mais son corps reste bel et bien au XXe siècle et il se déplace autour de sa maison. L’addiction à la drogue aux pouvoirs extraordinaires sur le cerveau n’est pas sans provoquer des incidents avec sa femme et ses beaux-fils, qui sont venus le rejoindre, et auxquels il se garde bien de faire part des expériences de Magnus. Ce dernier annonce sa venue mais il est victime d’un accident avant d’avoir pu rencontrer son ami Young.

La canne du professeur apparaît au chapitre XVII, à la page 274 de l’édition de 1975 du Livre de Poche (n° 4157). Elle va jouer son rôle dans la poursuite de plus en plus difficile des « voyages » de Richard Young…

Après le décès accidentel de Magnus, percuté par un train, Young est amené à rencontrer l’inspecteur chargé d’élucider les circonstances de sa mort :
« Il y avait une canne posée sur le coin de la table et le sergent la montra à l’inspecteur :
« Nous avons trouvé cette canne à mi-chemin entre les rails et la cabane », expliqua-t-il.
L’inspecteur se tourna vers moi d’un air interrogateur et j’acquiesçai :
« Oui, c’est une de ses nombreuses cannes. Son père en faisait collection et Magnus en a bien une douzaine dans son appartement de Londres. »

P. 291, on apprend que la police remet à Young les effets personnels du professeur et sa canne. « J’étais heureux d’avoir le portefeuille et la canne. »

Chapitre XVIII, p. 294, le notaire de Magnus téléphone à Young et lui annonce qu’il figurait dans son testament : « – Oh !… Je ne pensais pas du tout… balbutiai-je, surpris, tout en espérant que c’était sa collection de cannes que me léguait Magnus. »

p. 300, lorsque Willis, l’assistant du professeur Lane, rencontre Young avec le notaire, pour faire l’inventaire de ce qui se trouve dans la maison, Young intervient : « – Je vais vous y conduire moi-même, dis-je. Mais attendez une minute, je veux vous montrer quelque chose… »
Je montai vivement à l’étage d’où je redescendis quelques instants plus tard avec la canne.
« On l’a trouvée près du corps de Magnus, dis-je. Elle fait partie de la collection qu’il a dans son appartement de Londres. Pensez-vous qu’on acceptera de me la laisser ?
- Bien sûr, et les autres aussi. »

On apprend ensuite, p. 305, que ladite canne est une canne à système et qu’on y loge un flacon de liquide : « Ouvrant le coffre de la voiture, j’y pris la canne de Magnus dans laquelle, avant de la montrer à Willis, j’avais versé le reste de la drogue que contenait le flacon A. »

Cette canne lui est d’un grand secours car il peut continuer à effectuer des « voyages » au XIVe siècle à l’insu de sa famille. Chapitre XX, p. 323-324 : Je gagnai directement le premier étage où je rangeai la canne de Magnus dans la penderie. Je savais très bien maintenant quelle impression ça faisait de mener ce qu’on appelle « une double vie ». La canne, les flacons enfermés dans ma valise, étaient pour moi comme des clefs me permettant de me rendre chez une autre femme ; et ce qui était encore plus tentant, plus troublant, c’était de savoir que cette femme, en cet instant, pouvait être sous le même toit que moi mais dans un autre temps. »

Le narrateur décide d’entreprendre un nouveau « voyage » et la canne lui sert à cacher la dose de drogue. Chapitre XXI, p. 343 : « Je montai chercher le flacon C dans ma valise. (…) J’en versai une dose dans le gobelet de la canne, puis je décidai de la garder en réserve et revissai soigneusement le pommeau. »

Après un retour difficile dans la réalité dus aux effets secondaires de la drogue, Young se laisse convaincre de partir se reposer avec sa femme et ses enfants en Irlande. Il fait ses préparatifs de voyage. Chapitre XXIII, p. 390 : J’entendis Teddy m’appeler de l’autre pièce.
« Dick ?
-Oui ? »
Il me rejoignit en traversant la salle de bain, tenant à la main la canne de Magnus.
« Est-ce que vous voulez l’emporter ? me demanda-t-il. Elle est trop longue pour entrer dans la valise. »
Je n’avais pas revu cette canne depuis que j’y avais versé un peu de liquide contenu dans le flacon C, près d’une semaine auparavant. Je l’avais complétement oubliée.
« Si vous n’en avez pas besoin, je vais la remettre dans le placard où je l’ai trouvée.
- Non, dis-je, donne-la-moi. »
Souriant, il fit mine de s’en servir comme d’une sagaie, puis me la lança sans élan, et je l’attrapai vivement entre mes mains. »

Ayant laissé sa femme et ses enfants monter dans l’avion et ayant feint de les rejoindre, il leur fausse compagnie au dernier moment pour rentrer chez lui et effectuer un dernier « voyage » avec la dose de drogue contenue dans la canne. Chapitre XXIV, p. 396-397 , il se rend sur les lieux habituels de ses expériences et est surpris d’y trouver le docteur Powell qui l’avait soigné après ses troubles.
« Je demeurai un moment à l’observer puis délibérément, sans malice aucune mais en pleine conscience de mon geste, je dévissai le pommeau de la canne pour prendre le gobelet. Je bus ma dernière dose puis, ayant tout remis en place, je contournai le tertre pour rejoindre le médecin. »

Lorsqu’il revient à la réalité, près du médecin, il lui raconte ce qu’il a vu et explique comment il s’est procuré la drogue. P. 410 : « Vous avez dû vous demander, lui dis-je, comment j’avais pu entreprendre encore un « voyage »… Voici la réponse. »
Je dévissai le pommeau de la canne et lui montrai le petit gobelet. Il le prit, le retourna, constata qu’il était parfaitement sec. (…) Il garda le silence, continuant de regarder le minuscule gobelet. (…) Me prenant la canne des mains, il y replaça le gobelet puis me la rendit après avoir revissé le pommeau. »

Le talent de Daphné du Maurier est d’amener lentement les éléments qui vont se combiner avec d’autres dans les chapitres successifs. Elle y parvient très bien avec la canne à cachette, sans laquelle le narrateur n’aurait pu avec, lors de son dernier « voyage », découvrir la clef de ses interrogations sur la destinée des personnages qu’il a côtoyés au XIVe siècle.

La littérature comprend d’autres œuvres où il est question de cannes enfermant des choses précieuses et insolites : pièces d’or, messages, instruments de musique, carabine, et bien sûr dards et épées, et même un serpent. Voir en rubrique « Canne et bâton dans la littérature » et aussi dans « Bâton comme outil ».

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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