Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
911 527 COUPS DE BATON DONNES AUX ELEVES !

Pour faire suite à l’article sur les châtiments corporels dans les écoles chinoises à la fin du XIXe siècle, voici les réflexions d’un directeur d’école français en 1859.
Dans les numéros 3, 4 et 7 de « L’Ecole Normale, journal d’éducation et d’instruction, publié sous la direction de Pierre Larousse », s’échangèrent des points de vue différents sur la nécessité ou non d’abolir les châtiments corporels dans les établissements d’enseignement. Dans le dernier numéro (1er février 1859), un directeur d’école défendit l’usage modéré de la baguette.

« ENCORE LA VERGE (…). Dans l’établissement que je dirige, et qui compte 220 élèves, divisés en dix classes successives et une école normale, il ne se trouve aucune verge destinée à donner des punitions. Les punitions corporelles ne sont pas admises parmi nous, quoiqu’elles ne soient défendues par aucune loi (…).

La douceur est sans doute un moyen excellent ; je dis plus, c’est le meilleur de tous, mais il existe des cas où la sévérité devient nécessaire. Voyez la société. A côté de l’Eglise et de ses institutions de charité, nous avons la justice, les prisons, les maisons de force, les bagnes, Cayenne et la guillotine (…). Je crains, par nature, tous les systèmes absolus, même les meilleurs. Il a été un temps où le maître ne pouvait se passer de sa verge. Elle était implantée dans nos écoles, aussi bien que dans l’Inde et en Chine.

Ecoutons le brave Haubèche, professeur dans le Würtemberg. Il déclare avoir donné, durant les cinquante et une années et demies de son professorat :
911 527 coups de bâton ;
124 000 coups de baguette ;
20 989 coups de férule ;
1 115 000 chiquenaudes à la tête ;
10 235 soufflets du revers de la main ;
7905 soufflets ordinaires.
Il fit mettre, en outre, 1408 enfants à genoux sur des bois ronds ou des bûches triangulaires, et affubla 5001 têtes du bonnet d’âne. Toutes ces punitions, jointes à quelques autres, dont je fais grâce au lecteur, donne une moyenne d’environ 120 par jour !

Voilà l’ancien système. De tels abus ont amené une réaction. Toutefois, prenons garde d’aller trop loin. Les punitions corporelles sont formellement autorisées dans la Bible ; et il n’est pas possible d’appeler barbare ce que Dieu a permis. Ce n’est pas que je n’aie une grande tendance pour les théories humanitaires ; j’ai écrit, il y a quelques années, contre la peine capitale. Mais je commence à me méfier de ma sagesse, et à baser mes théories sur la prose de la vie. Je crains qu’on ne soit bientôt obligé de de commencer à prêcher une discipline plus sévère envers les enfants. Le respect pour les parents et les supérieurs a considérablement diminué parmi eux depuis une trentaine d’années. Et si les enfants s’affranchissent intérieurement de l’autorité de leurs parents et de leurs maîtres, comme les adultes s’affranchissent intérieurement de l’autorité de l’Eglise et de la Parole de Dieu, ne doit-on pas craindre que notre fameuse liberté ne porte un jour de mauvais fruits ?

Au reste, cette tendance des esprits : briser tous les liens pour se placer sur le terrain de l’individualisme est dans l’air qu’on respire ; et, quand j’y réfléchis, je doute qu’aucune puissance humaine soit capable de nous faire retourner en arrière. Il est néanmoins de notre devoir de tenir ferme aux principes que nous savons être bons, et de jeter, dans le présent, de solides fondements pour l’édifice social qu’élévera l’avenir. Et parmi ces fondements, je pense qu’il n’en est aucun qui soit plus important que le respect des enfants pour leurs parents et leurs supérieurs. »

Voilà des lignes écrites il y a un siècle et demi, qui reflètent une inquiétude qui demeure, à tort ou à raison, toujours d’actualité. Les arguments en sont évidemment discutables.

A la suite de l’opinion du directeur d’école, le rédacteur de la revue, Pierre Larousse, crut bon d’ajouter ceci pour clore le débat :

 » 1° Humilier un enfant, c’est l’aigrir et non le corriger ; l’humiliation est en général une mauvaise institutrice.
2° Il ne faut pas toujours prendre les Ecritures au pied de la lettre ; du reste, si l’ancienne loi recommande les punitions corporelles, le Divin Législateur a dit : Laissez venir à moi les petits enfants.
3° La société punit ; on peut même dire qu’elle se venge. Beaucoup pensent, et nous sommes de ce nombre, que son droit de défense ne va pas jusque là et qu’il se borne à mettre le coupable, si l’on veut même l’assassin, dans l’impossibilité de nuire (…)

La verge, moyen physique, ne peut produire que des résultats de même nature, et la mission de l’éducateur est d’arriver à un but moral.
Qu’un colon d’Amérique, qui veut que ses plantations lui rapportent chaque année tant de quintaux de cannes à sucre, stimule par le fouet l’apathie ou la mauvaise volonté de ses esclaves, il agit conséquemment au but qu’il se propose, et, le résultat obtenu, peu lui importent les moyens. L’instituteur qui se considère au milieu de ses élèves comme un planteur au milieu de ses nègres, c’est-à-dire qui borne toute son ambition à tirer d’eux tant de vertus, tant d’analyses, tant de problèmes d’arithmétique, tant de pages d’écriture, que celui-là emploie la verge, il fera merveille. Les cahiers seront bien tenus, les bâtons seront alignés, le silence règnera dans la classe (…) mais il ne fera pas d’éducation, et lorsque, plus tard, un de ses anciens élèves, devenu homme, retournera au village après quelques années d’absence, et qu’il apercevra appendue aux murs de l’école, la patoche traditionnelle, il lui dira peut-être ce mot d’un ancien vaudeville : « Je te reconnais, c’est toi qui m’a appris à lire ». Mais assurément il ne lui dira pas : « J’étais menteur, tu m’as forcé à respecter la vérité ; j’étais hypocrite, tu m’as donné de la franchise ; j’étais irrévérencieux envers mes parents, tu m’as enseigné à les respecter ; j’étais méchant, jaloux, menteur, tu m’as rendu bon, aimable, obéissant. »
Ces succès, ces prodiges si l’on veut, sont le fruit d’une bonne éducation, et la bonne éducation réside tout entière dans la douceur et le raisonnement. »

Étonnant commentaire, d’une grande hauteur de vue et toujours d’actualité. Voilà comment, à partir d’un bâton, d’une baguette ou d’une verge, on s’élève aux idées générales et à la philosophie !

L’intégralité des échanges publiés dans « L’Ecole Normale » est consultable via Google.livres. L’image est extraite d’une gravure illustrant la chanson « La bonne aventure », publiée dans « La Semaine des enfants » n° 135, du 30 juillet 1859. Ce détail illustre le deuxième couplet : « Lorsque les petits garçons / Sont gentils et sages, / On leur donne des bonbons, / De belles images ; / Mais quand ils se font gronder, / C’est le fouet qu’il faut donner : / La triste aventure, / Oh ! gai ! / La triste aventure. »

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

Tags:

Leave a Reply