Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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VAINES CANNES DE SUISSE ET DE TAMBOUR-MAJOR !

Parader avec une grande et belle canne à pomme d’argent est la fierté du suisse d’église et du tambour-major. Encore faut-il que leur canne ne soit pas un joli vernis qui masque un fond médiocre. Telle est la morale d’un conte intitulé « Le beau et le laid », signé Léon de LAUJON et publié dans « La Semaine des enfants » en 1863.

Le thème ? Une fée donne de la bonté et de l’intelligence à un bébé laid et non désiré, prénommé Charles, tandis que les parents du second, nommé Bonaventure, rejettent tous les dons proposés par la fée pour n’en retenir que les plus superficiels : beauté, force physique, appêtit…
Quand les enfants grandissent, ils ne tardent pas à révéler leurs différences et leurs insuffisances. Autant Charles se révèle courageux, spirituel, économe, généreux et bon, autant Bonaventure est pleutre, vaniteux et sot.

Quand arrive le moment de choisir un métier, le père de Bonaventure l’oriente vers les métiers où le beau physique de son fils peuvent faire illusion. Le voici d’abord suisse d’église :

« Son père imagina alors de le proposer, comme suisse, à l’église du che-lieu d’arrondissement voisin. Sa belle taille, sa figure douce et un peu bête, enfin, sa bonne conduite, appuyée d’un certificat du maire et du curé, le firent agréer.
Le dimanche où il endossa pour la première fois son habit galonné, orné d’épaulettes de général, où il coiffa son chapeau à plume et prit en main sa longue pique décorée d’effilés d’or, fut peut-être le plus beau jour de la vie de son père. (…) Le fait est qu’on le regardait beaucoup ; jamais on n’avait vu un aussi superbe suisse. Cette curiosité, qui flattait son amour-propre, faillit même lui nuire. Le curé, qui avait pris un suisse pour faire la police de l’église et non pour donner un spectacle à ses paroissiens, lui fit comprendre qu’il devait être plus modeste (…) »

Un jour, sortant de l’église et se promenant en uniforme dans une rue, il rencontra des jeunes gens de son âge, parmi lesquels se trouvait un ancien camarade d’école, nommé Hilaire. Le pauvre était à demi-bossu mais avait de l’esprit. Il se moqua de la vanité de son ancien camarade, qui ne s’en rendit pas compte au début, mais finit par réagir :

« Cette fois, le suisse fut bien obligé de s’apercevoir que son camarade se moquait de lui. Furieux de se voir raillé en public, il voulait répondre sur le même ton mais ne trouvait rien. Par un mouvement involontaire, il plaça sa canne, en s’appuyant sur la paume, tout près de son interlocuteur. Ce rapprochement fit si bien ressortir et la petite taille et la difformité du bossu, dont la tête n’atteignait pas la main de Bonaventure ainsi posé, que ceux qui se trouvaient là ne purent s’empêcher de rire. On eût dit un nain à côté d’un géant. Le nain, très vexé, s’apprêtait à lancer quelque lardon au géant qui l’humiliait ; mais celui-ci, heureux d’avoir eu les rieurs pour lui, profita de ce moment pour se retirer, en disant d’un ton à la fois protecteur et dédaigneux : « Adieu, petiot. »

Hilaire se venge ensuite en ridiculisant Bonaventure, invité à demander la main d’une jeune fille en se rendant chez ses parents, vêtu en suisse, ce qui est considéré comme une marque de ridicule vanité. Il est ensuite renvoyé de l’église.

Arrive le moment de tirer au sort pour effectuer ou non le service militaire. Bonaventure tire le « bon » numéro et est engagé. Les débuts sont difficiles.

« Enfin, le capitaine de sa compagnie jugea qu’il ne serait jamais qu’un pauvre soldat, mais qu’on pourrait en faire un beau tambour-major. Il fut donc rangé parmi les tambours. Cette position lui allait mieux, et ce qui contribua surtout à la lui faire aimer, c’est la glorieuse perspective de coiffer un jour le magnifique chapeau qu’il voyait sur la tête de son chef de file. Après deux ans de surnumérariat parmi les simples « tapins », il fut promu tambour-maître, et, l’année suivante, élevé à la dignité de tambour-major.

Un maréchal de France est moins heureux de recevoir le bâton de commandement, que Bonaventure ne le fut de recevoir la longue canne à pomme d’argent, insigne de ses nouvelles fonctions. Avec quel bonheur, avec quel orgueil, et, croyait-il, avec quelle grâce il la faisait jouer et tournoyer, lorsqu’il entrait dans une ville, à la tête de ses douze tambours ! Il fallait le voir alors, la tête haute, le regard impérieux, le poing appuyé sur la hanche, la moustache retroussée, marchant avec la dignité farouche d’un commandant sévère et plein de l’importance de ses fonctions. Dans ces moments, il se sentait un souverain mépris pour les lieutenants et capitaines, et n’aurait ma foi ! pas échangé son rôle contre celui du colonel. »

Les mouvements du régiment le firent revenir dans la ville où il avait été suisse. « Il suivit le régiment jusque sur la place d’armes, pendant que le tambour-major se faisait admirer de tous les badauds, qui s’étonnaient de la dextérité avec laquelle il maniait sa canne. »

Mais la guerre éclate et c’est là que Bonaventure révèle ses tares. « Au lieu d’exciter ses hommes, c’est lui qui avait besoin d’être excité ; au lieu de se tenir, d’après le règlement, six pas en avant, il reculait instinctivement vers ceux qu’il commandait, et aurait voulu se fourrer dans leurs rangs ou même se mettre à l’abri derrière leur dos ; sa main tremblait, sa canne ne donnait plus les signaux avec précision. »

La bataille ayant malgré tout été gagnée, Bonaventure échappe aux plus graves sanctions mais est rétrogradé au rang de simple tambour puis quitte son régiment.

Pendant ce temps-là, Charles, qui avait été engagé comme clerc de notaire et avait tiré le « mauvais » numéro qui le dispensait du service, suivait son petit bonhomme de chemin, s’élevant par le travail et la vertu…

Eh oui ! Une belle canne en main ne fait ni le suisse ni le tambour-major ! Il faut aussi l’humilité et le courage…

Les deux gravures illustrent le conte, dont la deuxième partie d’où est issu ce qui précède, figure dans le numéro 442 du 23 décembre 1863 de « La Semaine des Enfants », p. 188 et 189.

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

1 Comment to “VAINES CANNES DE SUISSE ET DE TAMBOUR-MAJOR !”

  1. [...] été traités avec ironie par les écrivains et les artistes. On se reportera sur ce sujet à : Vaines cannes de suisse et de tambour-major, La canne du sacristain, La canne du suisse, par [...]

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