Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LES CANNES COMPAGNONNIQUES DE JEAN BRON (1841-1906)


Dans l’article intitulé Les fabricants de cannes compagnonniques au XIXe siècle, nous avons signalé qu’à Lyon, un compagnon charron nommé Auguste Proud avait succédé à un fabricant nommé Bron.

Voici des informations sur ce dernier. Il était né le 22 mars 1841 à Sermérieu (Isère), d’un père cultivateur prénommé Augustin et de son épouse Jeanne Cottin ; la déclaration est faite en présence de deux autres cultivateurs ; seul le père sait signer (acte n° 12 du 23-3-41). Prénommé Jean Marie, le fils Bron ne demeurera pas dans l’agriculture et entrera vraisemblablement en apprentissage chez un forgeron, maréchal ou mécanicien On le retrouve en effet à Lyon, sur l’état de recensement de 1881. Il est alors mentionné comme « mécanicien », marié à une « ménagère » de 39 ans nommée Claudine (Péroline ou encore Claudia, selon les sources) Chevron, et il demeure avec elle au 47, rue Thomassin, dans le IIe arrondissement. Le couple n’aura pas d’enfants.

On ignore à partir de quelle époque il entreprit de fabriquer des cannes pour les compagnons, article qu’il réalisait aussi pour les tambours-majors, comme nous l’apprend une de ses publicités. Mais, établi dans une ville et un quartier qui comptait beaucoup de compagnons, ceux-ci devaient le solliciter régulièrement après leur réception, lorsqu’il s’agissait pour eux de s’offrir l’un de leurs plus chers attributs. C’est en tout cas en 1882 que Jean Bron participe à une tombola au profit de la caisse de retraite de la Fédération compagnonnique de tous les Devoirs réunis, en offrant une belle canne de sa fabrication. La Fédération, établie rue Grôlée, était à 200 m de l’atelier Bron, et l’on comprend pourquoi des liens commerciaux avaient pu se tisser entre l’un et l’autre.

Voici ce que l’on peut lire dans « La Fédération Compagnonnique » n° 30, du 20 août 1882 :

« TOMBOLA AU PROFIT DE LA CAISSE DE RETRAITE.
La canne offerte à la Fédération, par M. Bron, fabricant de cannes, rue Thomassin, n° 7, à Lyon, sera tirée le 3 septembre prochain.
Nous prions nos amis de se hâter de souscrire, car le tirage aura lieu le jour de notre banquet, au dessert, et le gagnant sera avisé télégraphiquement si la localité le permet.
Nous publions aujourd’hui la première liste ; dans le prochain n° nous publierons la deuxième et dans le second n° de septembre, nous indiquerons le nombre de n° pris, le nom du gagnant et le bénéfice laissé à la caisse de retraite par la gracieuse offrande de notre ami Bron qui, nous l’espérons, aura des imitateurs.
Pour les nouveaux abonnés nous reproduisons la lettre de M. Bron :

Lyon, le 8 juillet 1882.
Monsieur le Président fédéral, Directeur du journal La Fédération.
En vous félicitant de l’oeuvre généreuse que vous avez entreprise, la réorganisation du Compagnonnage et la création d’une caisse de retraite pour ses vaillants invalides, permettez-moi d’offrir une canne de premier choix, garnie avec goût, gravée aux initiales du gagnant.
Cette canne sera tirée en tombola, le jour de votre prochain banquet, à 0 fr. 50 centimes le numéro, au profit de la caisse de retraite.
Le numéro de chaque souscripteur sera le rang d’inscription à mesure que les demandes vous parviendront. Vous publierez la liste le dimanche qui précédera votre banquet, je crois le deuxième dimanche de septembre.
Agréez, Monsieur le Président, les voeux que je fais pour la réussite de ma faible obole.
J. BRON, fabricant de cannes, rue Thomassin, n° 7. » (une coquille sur le numéro de la rue : il faut lire 47).

L’article se poursuit par la description de la canne et l’on notera ses caractéristiques et son prix : 60 f. Compte tenu du salaire journalier moyen d’un ouvrier lyonnais en 1881, qui était de 4, 85 f, il fallait la paye de douze jours et demi de travail pour l’acquérir, ou un demi-mois (en 1937, c’était un peu moins cher chez le compagnon Bris : un tiers du salaire mensuel, qui avait augmenté). Reprenons la lecture de l’article :

« La canne qui est offerte pour être tirée en tombola est exposée au cercle : elle est estimée 60 fr. L’embout est guilloché nouveau genre doré ; le jonc est ce qu’il y a de plus beau ; les glands, haute nouveauté ; la pomme, d’un beau fini ; l’écusson est en argent, prêt à recevoir le nom de l’heureux gagnant.
Nous prions nos amis qui voudraient se faire inscrire d’envoyer 50 centimes en timbres-poste ; leur numéro sera celui de leur inscription.
Les souscriptions seront reçues au cercle, rue Grôlée, 63, chez le C. Meneux, secrétaire de la Fédération.
Nous croyons que les CC. ne voudront pas manquer l’occasion de gagner une belle canne et surtout de faire une petite manifestation en faveur de notre Caisse de Retraite dont le résultat est déjà si heureux. Nous comptons sur le concours de nos jeunes amis qui ne manqueront pas de s’associer à nous, en cette circonstance, comme ils l’ont déjà fait en tant d’autres. »

Suivent les listes de compagnons souscripteurs et enfin, dans le numéro 32 du journal (18 septembre 1882), on apprend que sur les 500 numéros, c’est celui du compagnon Conques qui a été tiré. C’est un boulanger, surnommé « Béarnais l’Ami du Travail », qui demeure rue Impasse-Bayard à Toulouse. Le journal ajoute : « M. Bron, fabricant de cannes, rue Thomassin, 47, qui assistait au banquet, s’est mis immédiatement à la disposition de l’heureux gagnant pour faire les transformations qu’il jugerait nécessaire. » (sans doute parce que les pommes de cannes de boulangers sont rondes et en ivoire). Et plus loin : « Les CC. apprendront certainement avec plaisir que le généreux donateur de la canne mise en tombola au banquet de Lyon et qui a produit 277 fr. à la caisse de retraite, tient à leur disposition les cannes compagnonniques qu’ils voudront bien lui demander soit verbalement soit par correspondance. Nous essayons de payer notre dette à l’égard de cet ami du Compagnonnage en donnant son adresse aux CC. du tour de France : M. Bron, fabricant de cannes en tous genres, rue Thomassin, n° 47, à Lyon. »

En faisant du sponsoring, comme l’on dirait aujourd’hui, Bron avait réussi une belle publicité. De son côté, il fera paraître régulièrement des annonces dans le journal de la Fédération. Dans un encart de janvier 1887, il précise notamment qu’il est à la disposition des compagnons pour leurs cannes « avec écusson, des pommes gravées aux attributs, ainsi que les embouts qui sont unis, gravés ou guillochés, selon l’avis qui lui en est donné. ». Il poursuivra ses annonces dans le journal de l’Union Compagnonnique, après 1890.

A la fin de cette année-là, il signale dans le journal de l’Union qu’ « afin de donner plus d’extension à ses affaires, il s’associe avec M. Fournier » sous la raison sociale FOURNIER ET BRON, tourneurs sur cuivre. Il s’établit alors 7, rue des Marronniers, toujours dans le IIe arrondissement (le recensement de 1891 indique le n° 6). Mais dès le mois de mai, nouvelle annonce : il se retire de l’association Fournier et Bron et reprend seul, comme par le passé, la fabrication des cannes compagnonniques et de tambours-majors. Son nouvel atelier est désormais 12, rue du Palais-Grillet, à Lyon. Le couple y demeurera jusqu’à la fin de son activité. A cette date, Bron est encore qualifié de « tourneur » mais jamais de « fabricant de cannes ».

En 1901, il cède son affaire au compagnon Auguste Proud, « Vendéen la Tranquillité », qui demeurait à Oullins, en banlieue lyonnaise, depuis 1892. Jean Marie Bron, « sans profession », s’éteint trois ans plus tard, le 2 avril 1904, en son domicile du 14, rue de la Poulaillerie, dans le même arrondissement (acte de décès n° 932, du 2-4-1904). Il était âgé de 63 ans. Sa veuve vivait encore à cette adresse en 1911.

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

Tags:

Leave a Reply