Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE ROI EST MORT, LE BATON EST BRISÉ

La mort des rois de France donnait lieu à la mise en place d’un ensemble de cérémonies précisément réglées. Voici ce qu’on peut lire dans « Le Grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane », par Louis MORERI, prêtre (1759), tome V, pages 296-297 (en ligne via Google livres) :

(Après la messe à Notre-Dame, le corps du roi et son effigie sont conduits à la basilique Saint-Denis et les officiers procèdent à l’enterrement).
« Le corps ayant été mis dans le tombeau, un roi d’armes appelle tous ceux qui portent les pièces d’honneur, savoir : les cottes d’armes des hérauts, l’enseigne des Suisses, les quatre enseignes des gardes du corps, les deux enseignes des cent gentilshommes, les éperons, les gantelets, l’écu du roi, sa cotte d’armes, le heaume timbré à la royale, le fanon du roi, l’épée royale, la bannière de France, le bâton de maître d’hôtel, et celui du grand-maître, la main de justice, le sceptre et la couronne, pour les voir déposer sur le tombeau.

Ensuite le grand-maître prononce d’une voix un peu élevée : « Le roi est mort » ; et à ces paroles répétées trois fois par un roi d’armes, qui ajoute : « Priez Dieu pour son âme », tout le monde se met à genoux.
Un peu après le grand-maître retire son bâton de la fosse, et dit tout haut : « Vive le roi N***, etc., par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, très chrétien, notre nouveau seigneur et maître, à qui Dieu donne bonne vie et longue. »

Aussitôt les trompettes, les tambours, les hautbois et les fifres commencent à sonner, et chacun reprend les pièces d’honneur qui avaient été déposées dans la fosse. Cette cérémonie se termine par un festin funèbre.
Les princes sont conduits dans une salle, et le grand-maître, avec ceux qui ont porté les pièces d’honneur, dans une autre.

Après le dîner, le grand-maître fait une petite harangue aux officiers de la maison du roi, et ayant rompu son bâton, pour marquer que leurs charges sont finies, il promet de les recommander au roi régnant, pour les maintenir dans leurs offices qu’ils continuent comme auparavant, par une grâce de sa majesté. Il faut remarquer ici (…) que le grand-maître qui rompt le bâton en présence des officiers de sa maison, ne le rompt pas pour les officiers de la couronne (dont le chancelier en est un), parce que leurs charges regardent l’Etat et non précisément la personne et la maison du roi ; c’est pourquoi elles ne finissent point à sa mort. »

Une autre source apporte d’autres précisions sur la fonction de Grand maître de France, car c’est de lui qu’il s’agit lors de cette cérémonie. Ce texte présente aussi des différences avec le précédent. Dans le « Journal encyclopédique, avril 1766 », Tome III, 1ère partie, p. 83-84, à l’entrée « Grand Maître de France », on lit :

« L’autorité de ce premier officier de la couronne, premier office domestique du Roi, chef et surintendant général de sa Majesté, était autrefois sous la première et deuxième race, d’une étendue immense (…), l’une des plus éminentes fonctions du Royaume. »
« Aux festins royaux, le grand-maître marche immédiatement devant ceux qui portent la viande, ayant le bâton haut, au lieu que les autres maîtres d’hôtel portent le bâton bas devant lui, pour témoigner leur infériorité et leur dépendance, en la même manière que le chancelier de France fait abaisser les masses de justice qu’il fait porter devant lui aux grandes cérémonies, lorsque le Roi y est présent (…)
Aux enterrements des Rois, le grand-maître est le chef du convoi, et fait les honneurs de la Maison royale ; il marche devant l’effigie, il rompt son bâton, et le jette dans le cercueil du Roi décédé, en prononçant ces mots : « Messieurs, le Roi est mort, vous n’avez plus de charges ». Puis, reprenant un nouveau bâton, il crie : « Messieurs, le Roi vit, et vous redonne vos charges ».

Dans le premier texte, le grand-maître de France dépose son bâton dans la fosse, puis le reprend et c’est lorsqu’il se retrouve au dîner funèbre, avec les autres officiers de la Maison du Roi, qu’il rompt son bâton.
Dans le second texte, le grand-maître rompt son bâton et le jette dans le cercueil du Roi, puis en reprend un autre pour annoncer que les charges des officiers se poursuivent.

Qu’en dit Wikipédia ? Elle rappelle que le grand-maître de France dirige l’ensemble des services de la Maison du Roi, nomme ses nouveaux officiers (pour les repas, la musique) et gère le budget afférent. Il est responsable de la police de la cour et le surintendant du domaine royal. Dans la pratique, ce sont les agents de ses bureaux qui règlent tout cela au quotidien mais il préside certaines cérémonies.
A propos de l’enterrement des rois : « Aux obsèques du roi, après que tous les offices avaient (sic) rompu et jeté leur bâton de commandement dans le caveau, pour montrer qu’ils n’avaient plus de charge, le grand-maître n’y faisait entrer que la pointe du sien, avec lequel il touchait le cercueil, puis il le retirait en entier.
Mais après le repas funèbre qui suivait les obsèques (…) il rompait son bâton et offrait ses bons soins auprès du nouveau roi, aux officiers de la maison, pour les faire conserver dans leurs charges. »

On constate, à la confrontation de ces textes, que le cérémonial n’est pas tout à fait le même. En revanche, il se termine toujours par le bris du bâton du grand-maître. Et cela amène une nouvelle question : de quoi était fait ce bâton ? Car pour le briser, on imagine que le grand-maître ne devait pas le poser à terre, le tenir par une main et appuyer d’un pied dessus, ni même le fracasser contre un morceau de pierre ou de métal. Il devait le briser solennellement, facilement, rapidement, mais comment ? Il fallait bien que ce bâton fût fragile, et probablement creux.

Les représentations des grands-maîtres de France et leurs armoiries nous montrent un bâton court, genre bâton de maréchal, et non une canne comme en tenaient les majordomes. Etait-ce ce beau bâton fleurdelysé qui était brisé ? Ou un bâton de substitution, frêle, uniquement destiné à la cérémonie ?

Ajoutons pour finir que ce rite est très instructif. Briser un bâton est associé à la mort du roi et à la fin d’une charge reçue du monarque défunt. Or, on retrouve ce rite en plusieurs parties du monde, sans qu’il soit possible d’imaginer une imitation ou une transmission de rite d’un lieu en un autre, mais plutôt une coutume renvoyant à un mode d’expression très ancien, commun à l’espèce espèce, par-delà les époques et les civilisations.
Voir à ce sujet les articles suivants : sur les sanctions en Chine : Les petits bâtons et le pan tse ; sur les condamnations à mort : Le bâton des Schultheiss (prévôts) alsaciens et allemands ; sur le symbole de la mort : Bâton brisé à Maison municipale de Prague.

Les illustrations de cet article sont : un détail des funérailles de Louis XIV, gravure de 1715 (BnF) ; les armoiries de Louis V joseph de Bourbon-Condé, grand-maître de France (on voit deux bâtons en sautoir derrière l’écu) ; le portrait de Louis V Joseph de Bourbon –Condé (1736-1818) tenant son bâton fleurdelysé.

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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