Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LE BATON A JETER DES CONFETTI
Categories: Bâton comme outil

D’un long article rempli d’anecdotes et de considérations intéressantes, dû à Auguste Laforêt, et intitulé « Le bâton, étude historique et littéraire », publié dans la « Revue de Marseille et de Provence », voici un extrait relatif à un bâton festif qui aurait pu assurer la fortune de son inventeur si le sort ne s’en était mêlé… Il s’agit d’un bâton destiné à jeter des confetti et des bouquets de violettes lors des carnavals.

« J’ai dit que très lucratif avait été le commerce des cannes ayant appartenu, ou du moins vendues comme ayant appartenu, à quelques hommes célèbres. Il n’en a pas été ainsi, dans ces derniers temps, de la spéculation d’un industriel marseillais, sur un bâton de main d’un genre particulier et destiné à un usage spécial.

Se trouvant à Rome, à l’époque du carnaval, il avait essuyé cette pluie de confetti qui tombe sur la promenade appelée le Corso. Du haut des fenêtres et des balcons, on en jette sur les voitures, des voitures sur les piétons ; gens des voitures et piétons ripostent ; c’est une mitraillade générale avec avantage, on le comprend, pour ceux qui sont haut placés. M. X… avait remarqué qu’on jetait aussi des bouquets de violettes aux dames, mais que beaucoup de ces bouquets restaient en chemin, ne pouvant arriver jusqu’au premier étage. Il chercha un moyen de mettre plus d’égalité entre les divers combattants, et aussi de venir en aide aux galants chevaliers. A cet effet, il confectionna, avec du carton très épais, un bâton de main qui n’avait pas plus de 60 centimètres de long et à chaque bout duquel se trouvait un godet de forme conique. Ces godets étaient destinés à recevoir soit le bouquet de violettes, soit la poignée de confetti. Le jet de l’un ou l’autre objet, au moyen d’un coup sec, devait être, à la fois, plus sûr et d’une plus longue portée. M. X… fit, à la campagne d’un de ses amis, l’essai de son bâton ; le jet des fleurs et des dragées fut tout ce qu’il attendait. C’était le point essentiel, l’accessoire n’était rien : enjoliver le bâton avec des dessins gracieux ou grotesques, avec des rubans de couleur vive ou tendre pour satisfaire tous les goûts et répondre à toutes les demandes.

M. X… avait un correspondant à Rome, il lui expédia, à titre d’échantillon, une douzaine de ses bâtons, lui expliqua la manière de s’en servir et le pria d’en obtenir l’exposition à la devanture d’un magasin bien placé. Notre industriel reçut de Rome de très bonnes nouvelles ; la jeunesse dorée avait apprécié le mérite de l’invention, et nul doute, qu’advenant le carnaval prochain, le personnel des deux sexes de la haute société ne fît l’emplette d’un bâton à jet.

Là-dessus, M. X… se mit à l’œuvre avec ardeur, et dans les derniers jours de décembre s’embarqua pour Civita-Vecchia avec vingt caisses de ses précieux bâtons. Hélas ! le jour même de son arrivée à Rome, on affichait à tous les coins de la ville un arrêté du syndic interdisant le jet des confetti et des bouquets par suite de désordres qui s’étaient produits l’année précédente. On se figure aisément le désespoir du malheureux inventeur. Son correspondant lui suggéra l’idée de se rendre à Naples où son bâton ne manquerait pas d’obtenir le succès qu’il aurait eu à Rome, sans le fatal arrêté. Ce fut pour M. X… l’ancre de salut ; il partit pour Naples, et y arriva à point nommé : la veille d’une fête populaire pour l’ouverture du carnaval. Il se rendit auprès des organisateurs de cette fête, leur parla de son bâton et en fit l’essai devant eux. La réussite fut complète. On l’autorisa à faire transporter ses caisses dans l’enceinte réservée, et à exhiber et vendre ses bâtons dans la matinée du lendemain.

Plein de confiance, à la veille de voir se réaliser toutes ses espérances, M. X… se mit à parcourir d’un pas léger les rues et les promenades de Naples où il n’était jamais venu, faisant le compte de Perrette, calculant son bénéfice et l’emploi auquel il le destinerait.

En rentrant à son hôtel, le soir, il apprend que le feu a pris dans l’enceinte réservée des commissaires ; il y court dans une anxiété facile à comprendre. L’incendie était éteint quand il arriva ; le feu n’avait pas dévoré tout ce qui pouvait lui servir d’aliment. Il n’avait pas atteint notamment les caisses de M. X… ; mais pour l’eau, il n’en était pas de même ; lancée en abondance par les pompes, elle avait pénétré par les joints des planches, ramolli les cartons, détrempé les couleurs, maculé les rubans ; les bâtons à jet n’étaient plus vendables, et la spéculation de M. X… se traduisait en une perte considérable. »

Le texte intégral de l’étude de Laforêt est consultable via Google livres. L’illustration représente un tableau d’Ippolito Caffi, réalisé avant 1866, et montrant la via del Corso, à Rome, un jour de carnaval, extraite du site rome-roma.fr / monuments.

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

Tags:,

Leave a Reply