Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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« LES COUPS DE BATON SUR L’ECHINE D’UN BOURGEOIS… » PAR EUGENE SUE

L’écrivain Eugène SUE (1804-1857) est connu pour ses célèbres « Mystères de Paris » mais il est aussi l’auteur des « Mystères du peuple », publié en livraisons de 1849 à 1857.
L’œuvre évoque la domination que subit au fil des siècles une famille bretonne, les Lebrenn, et les révoltes auxquelles elle participe pour reconquérir ses droits et sa liberté contre les envahisseurs et les oppresseurs : les Romains, les Francs, l’Eglise, l’aristocratie. L’histoire se déroule de 57 avant J.-C. à la Seconde République.

« Les Mystères du peuple » furent condamnés par la Justice le 25 septembre 1857, peu après la mort de l’auteur, avec destruction des clichés et des exemplaires saisis. Le procureur impérial invoqua : « l’outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs, l’outrage à la religion catholique, l’excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres, l’apologie de faits qualifiés de crimes ou délits par la loi pénale, les attaques contre le principe de la propriété, l’excitation à la haine et au mépris du gouvernement établi par la Constitution… ». On ne plaisantait pas en ce temps-là !

Mais l’œuvre reparut tout de même et c’est dans l’hebdomadaire « Les Feuilletons illustrés » du lundi 24 avril 1882, que nous avons trouvé un extrait intéressant notre sujet. Il figure dans le volume « Le sabre d’honneur, 1715-1851 » et se situe au début de la Révolution. Un dialogue s’établit entre divers convives, lors d’un souper chez le comte de Plouernel. Tous sont hostiles aux débordements populaires mais l’une des convives, Victoria, explique au comte que le peuple n’est pas l’ennemi des aristocrates, mais les bourgeois, et que « les coups de bâton sur l’échine d’un bourgeois produisent en vérité des effets surprenants »…

« VICTORIA. – Le peuple, comte de Plouernel, n’est pas votre plus dangereux ennemi… Votre ennemi… c’est le tiers état ! Cette bourgeoisie ne vous a-t-elle pas dit, par l’organe de Sieyès, que jusqu’ici elle n’avait rien été… elle qui DEVAIT ETRE TOUT… Là est l’ennemi, ne vous y trompez pas ! Le peuple, après son ivresse passée, retombera dans sa misère, dans l’abjection ; après avoir hurlé quelques jours sur la place publique…, la faim le ramènera au joug. « Le peuple, toujours dominé par le besoin…n’a jamais le temps d’achever les révolutions qu’il tente ! »
(…) La bourgeoisie, au contraire, grâce à sa richesse, a toujours le temps de se rebeller… le loisir de nous poursuivre de sa haine… C’est la bourgeoisie qu’il faut combattre à outrance.
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Une preuve entre mille de la vérité de l’assertion… l’avocat Desmarais n’est-il pas l’un des plus fougueux tribuns de l’Assemblée nationale ?
LE VICOMTE DE MIRABEAU. – Ce coquin rivalise d’audace dans ses motions avec mon abominable frère…
LE CHEVALIER. – Mais, cher comte… n’as-tu pas fait donner autrefois des coups de bâton à un homme de ce nom ?
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Ce Desmarais est précisément l’homme aux coups de bâton ! … Tu comprends qu’il doive avoir en exécration les « privilèges de la noblesse ».
(…)
LE CARDINAL. – Pour quel motif avez-vous dû recourir aux coups de bâton, cher comte, si tant est qu’il soit nécessaire d’avoir une raison pour faire bâtonner un bourgeois ?
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Mes gens d’affaires soutenaient par devant la Tournelle un procès au sujet d’une succession dévolue à mon frère cadet, l’abbé de Plouernel, actuellement à Rome ; Desmarais, oubliant le respect dû à un homme de ma qualité, eut l’insolence de parler de moi en termes peu révérencieux ; instruit du fait par mes procureurs, je fis happer un soir, par trois de mes gens, Desmarais au sortir de son logis. Ils lui donnèrent une volée de bois vert ; après quoi mon premier laquais dit à l’avocat : « Monsieur, les coups de bâton que nous venons d’avoir l’honneur de vous administrer… sont de la part de monseigneur de Plouernel, notre maître… ». Voilà pourquoi Desmarais est devenu l’un des meneurs du parti populaire !
LE VICOMTE DE MIRABEAU. – C’est l’équivalent de la plantureuse bastonnade jadis appliquée à Arouet de Voltaire, par les ordres du prince de Rohan… et voilà pourquoi Arouet est devenu l’un des ennemis les plus acharnés de la monarchie et de la religion. Il est vrai qu’il a rudement houspillé noblesse et religion.
LE DUC. – Les coups de bâton sur l’échine d’un bourgeois produisent en vérité des effets surprenants ! Voltaire a peut-être dû sa gloire à la correction qui lui a été administrée. »

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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