Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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ENFANT MARTYRISÉ AVEC UNE CANNE (1897)

La violence sous toutes ses formes ne date pas d’aujourd’hui ni même d’hier. Les faits divers rapportés par la presse en témoignent. Ainsi, la une du « Petit Journal » du 3 janvier 1897 nous montre-t-elle une image choquante, impensable aujourd’hui : on y voit un homme tenant le bras d’un petit enfant en guenilles et levant une canne, avant de le frapper. La scène se déroule sous les yeux d’une femme qui, une main dans la poche de son tablier, une autre sur la hanche, observe la scène sans intervenir. La canne et le bâton, si utiles en d’autres circonstances, s’avèrent en d’autres les instruments de la violence.

L’article qui était lié à cette image nous explique l’histoire de cette scène révoltante :

« L’enfant martyr.

Un crime monstrueux a été commis. Nous en parlerons brièvement, tout le monde le connaît et les détails en sont tellement odieux qu’ils révoltent et donnent comme un malaise nerveux à ceux qui s’en ressouviennent.

Il y a quelques jours, sous une porte de la rue Vaneau, on trouvait un pauvre bébé blond de deux ans à peu près, gémissant et mourant.
Un de ses petits pieds était déboîté, des plaies horribles, des brûlures couvraient son corps. On le porta à l’hospice ; quelques heures après, les souffrances de l’innocent prenaient fin, il remontait parmi les anges quittés depuis si peu de temps.

Son cadavre fut exposé à la Morgue et bientôt, par bonheur, la police mettait la main sur ses bourreaux.

On connut alors des choses effroyables : l’assassin était son père, les complices étaient sa propre grand’mère qui avait laissé faire, conseillé peut-être, et enfin la maîtresse de son père, la femme Deshayes qui, terrorisée par l’ignoble Albert Grégoire, n’avait osé ni défendre le petit Pierre, ni dénoncer le tortionnaire.
Une seule créature vivante lui avait témoigné de l’affection : un chien, un caniche noir ; la bête offrait l’exemple de l’humanité aux hommes ; on raconte qu’elle avait montré ses crocs un jour que le père après avoir ouvert les plaies de l’enfant voulait le traîner au poêle brûlant pour sécher le sang qui coulait.

Le dernier mot du bébé martyr fut pour son ami.

-Papa, maman, toutou !

On ne lui entendit plus rien dire après cela et cette phrase a quelque chose de profondément poignant qui réunissait dans une douce appellation le père qui torturait et l’animal qui protégeait.
Papa ! Cette brute immonde !

O vous qui goûtez en ce temps de fête les douces joies de la famille, est-ce que vous ne vous unirez pas à moi pour réclamer le châtiment impitoyable de ces monstres ?

Nous ne sommes pas sûrs de la loi ; un avocat habile en saura invoquer les indulgences et peut-être l’écoutera-t-on, parce que les débats n’ont pas lieu immédiatement, pendant que l’impression du public est ardente, mais seulement dans quelques semaines, lorsque l’émotion sera calmée.

Et peut-être alors les jurés trouveront des circonstances atténuantes, les juges chercheront en vain le texte de loi nécessaire pour faire tomber la tête d’Albert Grégoire.
Est-ce que cela est admissible ?

Dernièrement, lorsque pour les constatations on conduisit l’assassin rue du Dessous-des-Berges, la foule voulut se précipiter sur lui pour l’écharper ; on eut grand mal à le préserver. Ma conscience frémit à cette pensée que si j’eusse été chargé de sa garde, j’aurais peut-être laissé faire, j’aurais laissé passer la justice du peuple ! »

Les conclusions de l’auteur de l’article sont encore partagées par beaucoup de personnes. Or, on sait bien que la justice populaire n’est pas la justice tout court, qu’elle peut conduire à des erreurs irréversibles, qu’elle est le fruit de la passion aveugle et non de la raison éclairée par une enquête, l’étude de la personnalité du coupable, les circonstances du délit ou du crime. C’est aussi pour cela qu’elle rend son verdict avec un peu de décalage (parfois même trop d’écart entre les faits et la décision). Enfin, la justice n’est pas la vengeance…

Le site guichetdusavoir.org nous apprend que le meurtrier se nommait Albert Calixte Grégoire, qu’il était peintre en bâtiment et âgé de 28 ans. Sa mère, veuve Grégoire, était âgée de 58 ans, et sa maîtresse, Louise Deshayes, ménagère, de 40 ans.

L’enfant fut inhumé le 19/01/1897 au cimetière de Saint-Ouen.

Au terme de trois audiences, en mai 1897 (la justice n’avait pas pris de retard), les deux femmes furent acquittées et Albert Grégoire condamné aux travaux forcés à perpétuité. Sa tête n’était pas tombée mais il eut tout le temps d’expier son crime…

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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