Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LES RUADES DE PEGASE (4)

Voici l’avant dernier extrait de l’article consacré à ce sujet et rédigé par Monsieur Ian Geay – Editeur (merci :)

« Les ruades de Pégase
une histoire littéraire à bâtons rompus »

Pour preuve littéraire à ce communisme de la bastonnade, l’ode burlesque qui suit et que l’on trouve à la suite des œuvres de Régnier ; ce fragment d’épopée nous raconte la lutte entre ce dernier et Berthelot, l’un des plus honteux ouvriers de l’égout littéraire que fut selon Victor Fornel Le Cabinet satirique :

Vers lui desdaigneux il s’avance
Ainsi qu’un paon vers un oyson
Ayant beaucoup plus de fiance
En sa valeur qu’en sa raison
Et d’abord luy dit plus d’injures
Qu’un greffier ne fait d’escritures

Berthelot, avecq’ patience
Souffre ce discours effronté
Soit qu’il le fist par confiance
Ou qu’il craignist d’être frotté ;
Mais à la fin Régnier se joue
D’approcher sa main de sa joue

Aussitost, de colère blesme;
Berthelot le charge en ce lieu,
D’aussi bon cœur que, le caresme,
Sortant du service de dieu,
Un petit cordelier se rue
Sur une pièce de morue.

Berthelot, de qui la carcasse
Pèse moins qu’un pied de poullet,
Prend soudain Régnier en la face,
Et, se jetant sur son collet,
Dessus ce grand corps il s’accroche,
Ainsi qu’une anguille sur roche.

De fureur son âme bouillonne,
Ses yeux sont de feu tout ardent ;
A chaque gourmade qu’il donne
De despit il grince des dents,
Comme un magot à qui l’on jette
Un charbon pour une noisette

Il poursuit toujours et le presse,
Luy donnant du poing sur le nez
Et ceux qui voient la faiblesse
De ce géant sont estonnez,
Pensant voir, en ceste défaite,
Un corbeau souz une alouette.

Phoebus, dont les grâces infuses,
Honorent ces divins cerveaux,
Comment permets-tu que les muses
Gourmandent ainsi leurs museaux,
Et qu’un peuple ignorant se raille
De voir tes enfants en bataille ?

Régnier, pour toute sa deffense,
Mordit Berthelot en la main,
Et l’eust mangé, comme l’on pense,
Si le bedeau de Saint-Germain,
Qui revenait des Tuilleries,
N’eût mis fin à leurs batteries.

Bref, il y a du rififi chez les plumes qui imitent dans leurs relations réciproques le savoir vivre de ceux qu’ils vilipendent lorsqu’ils ne les courtisent plus. Notez d’ailleurs que parmi ceux qui recoururent, au XVIIIe siècle, à cette brutale polémique en action, ils furent les plus nombreux : « ce sont eux qui fourniront, en même temps que les victimes, la plupart des bourreaux. C’était sans doute, à le bien prendre, quelque chose de moins honteux d’être bâtonné par un confrère que par un profane : cela venait d’un homme du métier, d’un égal ; cela ne sortait pas de la famille. Mais je doute, dit Fournel, que l’enclume ait assez de philosophie pour se consoler, parce qu’elle est la sœur du marteau qui la frappe ».

Voilà donc des écrivains bâtonnés par d’autres écrivains. Qui imitent des écrivains bâtonnés par des gentilshommes. Qui imitent des gentilshommes bâtonnés par des gentilshommes. Mais un gentilhomme bâtonné par un écrivain, c’est ce que notre historien des lettres ne nous avait pas encore donné à lire. Cela arriva pourtant quelquefois comme il nous l’explique à titre d’exemple : « Cet héroïque champion des gens de lettres qui osa retourner la coutume établie, et venger la cause de la corporation sur le dos d’un homme de qualité, ne fut ni plus ni moins que Dulot, le héros des bouts-rimés, qui battit comme plâtre le marquis de Fosseuse, afin de pouvoir se vanter, – ce qui effectivement en valait la peine – d’avoir bâtonné l’aîné des Montmorency, ou, du moins, celui qui se prétendait tel. Malheureusement, il y a un détail qui enlève beaucoup à la moralité de l’anecdote : c’est que ce poète était fou, ou peu s’en faut. Peut-être est-ce pour cela que son exemple ne fut pas contagieux. » En tout cas, se venger des insolences d’un grand seigneur ne serait jamais venu à l’esprit d’un auteur du XVIIe siècle et les XIXe et XXe siècle viendront définitivement venger la profession, le goût de la rixe n’épargnant nullement quelques furieux scribouillards heureux de réaliser la prophétie : « Outre le siècle d’or, le siècle d’airain et celui de fer, qui sont si célèbres dans les fables, il y a encore à venir un siècle de bois, dont l’ancienne poésie n’a point parlé… »

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