Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LE BATON DE SAINT BERNARD REPOUSSE L’INCUBE

Dans l’un des épisodes de sa vie, Saint Bernard de Clairvaux (1091ou 1091 – 1163) intervient avec un bâton pour repousser un démon incube (c’est-à-dire qui prend l’apparence d’un homme, alors qu’un succube prend celle d’une femme).
Il existe des versions légèrement différentes de cet épisode. Dans la « Légende dorée » de Jacques de VORAGINE (écrite entre 1261 et 1266) le fait est situé en Aquitaine. Voici de quoi il s’agit :

« Il y avait, dans l’Aquitaine, une misérable femme tourmentée par un démon impudent et incube. Pendant six ans, il abusa d’elle et la vexa par des débauches incroyables. Quand l’homme de Dieu vint en ce pays, le démon défendit à la possédée, avec des menaces horribles, de s’approcher du saint, parce qu’il ne pourrait rien lui faire de bien, et qu’après son départ, celui qui était son amant serait pour elle un persécuteur acharné. Mais cette femme alla trouver avec assurance l’homme de Dieu, et lui raconta avec beaucoup de sanglots ce qu’elle souffrait. Saint Bernard lui dit : « Prenez mon bâton que voici, mettez-le dans votre lit, et s’il peut faire quelque chose, qu’il le fasse. » La femme le fit et se coucha ; mais aussitôt l’autre vint et n’osa pas s’approcher du lit, ni entreprendre ce qu’il avait coutume de faire. Alors il la menaça vivement qu’après le départ du saint, il se vengera d’elle d’une manière atroce. Ceci fut rapporté à saint Bernard qui rassembla le peuple, commanda que chacun tînt une chandelle allumée à la main, et, avec toute l’assemblée qui se trouvait là, il excommunia le démon ; ensuite il lui interdit tout accès, soit auprès de cette femme, soit auprès d’aucune autre. Ce fut ainsi qu’elle fut délivrée entièrement d’une semblable illusion. »

Une variante de cette forme d’exorcisme est contée par Aubin Louis MILLIN dans ses « Antiquités nationales ou recueil des monuments pour servir à l’histoire générale et particulière de l’Empire français (…) », tome 1er, chapitre « Les Feuillants de la rue Saint-Honoré ». Cet auteur décrit le couvent des Feuillants, à Paris, monastère royal de saint Bernard, fondé en 1587 par Henri III, et qui fut détruit au tout début du XIXe siècle. Parmi les épisodes de la vie de saint Bernard représentés sur les vitraux du monastère, figure celui de la délivrance de la femme possédée. L’auteur se réfère à une autre source car il l’assortit de détails ignorés de la Légende dorée et il situe le fait en Bretagne :

« Il y avait en ce pays une malheureuse femme tourmentée par un diable incube. Cet égrillard de démon s’était présenté à la jeune fille sous la forme d’un militaire d’une très jolie figure : sa beauté et ses tendres discours l’avaient séduite. Ayant obtenu son consentement, il avait étendu les bras, posé les pieds de sa maîtresse sur une de ses mains, tandis que de l’autre il lui couvrait la tête ; c’était là le signe de l’alliance qu’il contractait avec elle (…). Cette fille avait pour mari un soldat, beau, jeune et vigoureux, qui ignorait absolument ce qui se passait entre sa femme et le diable. Le démon venait passer avec elle toutes les nuits, et elle en paraissait assez contente. »

Au bout de six ans elle finit par se dégoûter, se confessa, en parla autour d’elle et une indiscrétion révéla l’affaire au mari qui abandonna sa femme.

« Bernard venait d’arriver ; la malheureuse femme court se jeter à ses pieds, elle les embrasse en tremblant ; Bernard la console, la nuit était avancée, il lui dit d’avoir confiance en Dieu et de revenir le lendemain. Elle revient le matin et raconte à Bernard les menaces que le démon incube lui a faites pendant la nuit. Moquez-vous de ses menaces, lui répond Bernard, mais prenez ce bâton, mettez-le dans votre lit, et que le démon exécute ensuite ses menaces s’il ose le faire. Elle suit ponctuellement les ordres de Bernard, se couche, met le bâton auprès d’elle. Le démon arrive à l’heure ordinaire, mais il n’ose prendre dans le lit sa place accoutumée ; il la menace de sa colère après le départ de Bernard. Le dimanche suivant Bernard fait assembler tout le peuple dans l’église d’après un mandement de l’évêque, il fait allumer des cierges, raconte publiquement les forfaits de l’esprit fornicateur, l’anathématise et lui interdit l’approche de cette femme ; elle se confesse, communie, et n’en entend plus jamais parler.

Ce vitrail (planche IX, fig. 3) est placé dans une des chapelles de la nef. Le peintre a voulu exprimer le triomphe de Bernard sur l’incube : on voit le portail d’une église, près duquel un cierge est allumé ; la femme possédée est à genoux ; Bernard lui reprend le bâton qu’il lui avait donné, et en présence du peuple il anathématise le démon, qui fuit sous sa véritable apparence, avec ses cornes, sa queue et ses ailes de chauve-souris. »

Dans la version numérisée du livre de MILLIN, consultable via Google livres, on peut voir le dessin de ce vitrail aujourd’hui disparu.

L’emploi d’un bâton pour chasser les démons est fréquent dans le légendaire des saints. Voir, par exemple, l’article : Le bâton de saint Leufroi. On peut aussi voir dans ce récit une signification symbolique : le bâton, symbole de la virilité, se substitue dans le lit de la femme au désir du démon : la réalité est préférable à l’apparence…

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

Leave a Reply