Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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EN CHINE, UN BATON POUR CHERCHER UN TOMBEAU


En 1845 le journaliste, traducteur et écrivain Paul-Emile DAURAND-FORGUES publie sous le pseudonyme d’Old Nick une compilation romancée mais très bien documentée intitulée « La Chine ouverte ; aventures d’un Fan-Kouei dans le pays de Tsin ». L’ouvrage, illustré de dizaines de gravures par Auguste Borget, connut un grand succès.
Dans la deuxième partie (Voyage de Ping-Si), au chapitre VII, p. 142-145, le narrateur fait la rencontre de quatre Chinois dont l’un tient un bâton particulier. Il s’agit de l’instrument d’un géomancien, celui dont nous avons parlé dans l’article Le bâton de géomancien.

« Voici l’un des plus curieux épisodes de notre voyage aux montagnes Vou-E.
C’était non loin des faubourgs de Yen-Ping où nous avons fait halte en revenant à Fou-Chou-Fou. J’errais, par une belle soirée, sur les rochers qui l’avoisinent, sans y chercher autre chose que le plaisir d’une promenade, et peut-être celui d’essouffler mon bienveillant mentor, lorsque je vis arriver quatre Chinois dont la physionomie affairée attira mon attention. Ils ne suivaient aucun sentier et paraissaient marcher au hasard ; tantôt gravissant une colline, puis la redescendant aussitôt, puis s’arrêtant tout-à-coup. Pendant ces haltes, qui se renouvelaient à chaque instant, l’un d’eux regardait la terre comme s’il eût voulu la sonder, puis le ciel, interrogeant les astres. D’autres fois, il étudiait le paysage ainsi qu’un peintre aurait pu le faire, et, hochant la tête d’un air mécontent, il s’éloignait suivi de ses compagnons. Ceux-ci épiaient ses moindres mouvements avec une anxiété docile. J’essayais, sans y réussir, de m’expliquer ces manœuvres.
Le hasard de leur indécise promenade les amena près de nous. Pas un ne daigna nous regarder. Ils passèrent sans mot dire, bien que je me fusse détourné comme pour les aider, s’il y avait lieu, dans l’espèce de recherche à laquelle ils se livraient. Je les suivis alors pour les mieux examiner.

Deux d’entre eux se tenaient constamment à quelques pas en arrière : c’étaient des domestiques dont l’un portait une bêche et l’autre une pioche, ainsi qu’un panier dans lequel étaient des « djoss-sticks » et des papiers parfumés. Le troisième, mieux vêtu, paraissait leur maître, et il appartenait évidemment à une classe riche. Il était inquiet, absorbé ; ses yeux ne quittaient pas un instant le quatrième personnage, le plus essentiel du groupe.

Couvert de misérables vêtements, chaussé de souliers déchirés qui avaient perdu leur épaisse semelle blanche, on l’eût volontiers pris pour un troisième valet sans l’espèce de sollicitude inquiète avec laquelle ses moindres mouvements étaient suivis ; son front dégarni paraissait haut, et sur son crâne luisant il était parvenu à trouver assez de cheveux blancs pour en faire une petite queue d’un pied et demi ; son nez épaté n’avait presque aucun relief, à la racine surtout, où l’on en distinguait à peine l’imperceptible saillie ; ses lèvres minces et blêmes, collées sur ses gencives démeublées, étaient surmontées de quelques poils blancs qui allaient rejoindre une barbiche de la même couleur et d’un effet assez original. Animez ces traits par l’expression malicieuse de deux petits yeux enfouis sous des paupières gonflées ; encadrez le tout de deux larges et plates oreilles fort écartées de la tête ; vous croiriez avoir sous les yeux une caricature accomplie. Néanmoins, il avait, comme tous les vieux Chinois, un air vénérable.

Il frappait la terre, de temps en temps, et à plusieurs reprises, avec un bâton qu’il avait à la main. On aurait pu croire que, suivant la méthode de nos sorciers du moyen âge, il cherchait quelque source cachée, quelque trésor enfoui, en s’aidant de la baguette de coudrier. Mais nos promeneurs songeaient à tout autre chose. Le vieillard qui, tout en marchant, murmurait une sorte d’incantation parfaitement inintelligible, s’arrêta non loin de nous sur un petit monticule. De nouveau, il regarda tout autour de lui avec une attention scrupuleuse, frappa plusieurs fois la terre de son « abacus », et fit un signe d’intelligence aux domestiques. Ensuite il traça sur le sol je ne sais quelles mystérieuses figures, et, sur son ordre, on se mit à creuser un trou qui menaçait d’être assez profond. Mais il parut se consulter, suspendit la besogne à moitié faite, et reprit sa course, cette fois en ligne droite, toujours suivi de ses trois compagnons. Ils disparurent bientôt dans une espèce de ravin, et je craignais de ne pouvoir les rejoindre ; mais, en arrivant au bord de cette espèce de fosse, je les vis arrêtés derechef. Le vieux Chinois venait de dessiner un carré long qu’il semblait consacrer en marmottant quelques prières. Quand elles furent terminées, les trois autres personnages s’inclinèrent devant l’endroit désigné ; ils y brûlèrent ensuite plusieurs morceaux de papier ; après quoi les deux ouvriers se remirent à l’œuvre, et creusèrent ce qui allait être une tombe.

En effet, – Eo m’expliqua immédiatement cette énigme ; – nous avions rencontré un fils désolé cherchant un lieu favorable pour la sépulture de son père, en compagnie d’un de ces nécromanciens dont l’industrie toute spéciale consiste à choisir le logement des morts. »

La gravure nous montre, au premier plan, le visage du vieux Chinois chercheur de tombeaux ; à gauche, à l’arrière-plan, le même, avec son bâton, suivi du fils du père décédé et des deux domestiques équipés d’outils à creuser.

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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