Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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COUPS DE CANNE DANS « LES DAMNÉS DE LA TERRE » D’HENRY POULAILLE (1935)

L’écrivain Henry POULAILLE (1896-1980), fondateur du courant de la littérature prolétarienne, est l’auteur romans autobiographiques : « Le Pain quotidien » (réédité chez Stock en 1980) et « Les Damnés de la terre » (1935). Sous le prénom de Loulou, il raconte son enfance à Paris au début du XXe siècle, où son père (sous le patronyme Magneux), d’origine nantaise, était ouvrier charpentier, engagé dans l’anarcho-syndicalisme. Il décéda en 1910, victime d’une chute d’échafaudage. Sa mère disparut la même année, emportée par la tuberculose.

Dans « Les Damnés de la terre », réédité en 2007 par Les bons caractères, Henry POULAILLE raconte qu’il se rendit au cimetière de Bagneux, où son père venait d’être inhumé, en compagnie de son oncle Alexandre et de sa tante. L’oncle ne s’entendait pas avec son frère. Est-ce pour cette raison que le jeune Loulou, âgé de 14 ans, fut méchamment frappé par son oncle ? Voici l’extrait de cette scène violente, p. 361-362 :

« Quelques jours après l’enterrement, Alexandre et sa femme ayant à régler au cimetière diverses questions secondaires avaient emmené Loulou avec eux. Arrivés devant la tombe, l’oncle et la tante s’étaient agenouillés tandis que debout, l’enfant méditait : il y avait une douzaine de jours, par un temps de pluie on était venu là… Un trou était creusé, on descendait la bière… Les pieds dans la glaise se collaient. Il faisait sombre… Loulou revoyait tout cela avec émoi. Des pleurs silencieux glissaient sur ses joues. Il avait oublié qu’auprès de lui se trouvaient son oncle et sa tante. Un cri soudain les lui rappela.
- A genoux !
Il était si loin de s’attendre à ce commandement qu’il pensa que son oncle, dans sa douleur, parlait tout seul.
- genoux ! reprenait l’oncle.
Loulou s’était tourné. Doucement il demanda :
- C’est à moi que tu dis ça ?
- A genoux, répétait l’oncle.
- Mon père n’a pas été à l’église et sa tombe n’a pas de croix.
- A genoux, salaud ! cria l’homme en se levant.
- Non ! déclara le gamin fermement.
- Non ! non tu dis !… A genoux ou je te tue plutôt…
- Hein ? fit Loulou.
L’homme qui avait levé sa canne lui en asséna un violent coup…
- Sauvage, gronda l’enfant.
Son oncle, canne brandie, s’avançait.
-A genoux, salaud !
La canne s’abaissa à nouveau, dans le vide cette fois. Loulou s’était éloigné en quelques sauts en arrière. Il était dans une allée et s’en retournait, tout éberlué et l’épaule douloureuse.
- Reviens ! reviens ! hurlait l’oncle. Je veux que tu te mettes à genoux.
En vain sa femme qui s’était relevée essayait-elle de l’apaiser, il s’était mis à la poursuite de son neveu, et masqué par des rangées de tombes l’allait attraper quand le gosse tourna la tête et l’aperçut.
Déjà la canne tourbillonnait. Le visage de l’homme était grimaçant.
- Il est fou ! c’est pas possible, pensa-t-il ; et cette fois il détala à toutes jambes. De temps en temps, il se retournait. Le forcené courait toujours ; exaspéré, le gosse ramassa un vieux vase jeté au milieu d’un tas de débris de couronnes et de fleurs fanées. Il le lança.
- Salaud ! cria l’oncle quand le vase s’écrasa à ses pieds. Tu vas voir si…
Il n’en put dire plus. Une poignée de terre adroitement lancée l’aveuglait à demi. Il toussait, recrachait le terreau dont sa bouche était pleine. Il brandissait sa canne, mais restait sur place.
Loulou lui cria :
- Maintenant, ne remets jamais les pieds chez nous, sans ça je te fous la gueule dans l’escalier… »

De retour chez lui, il raconte à sa mère ce qui s’est passé :
« Je te préviens, maman, que si cet abruti met les pieds ici je le fais dégringoler dans l’escalier, la tête la première…
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Il m’a foutu des coups de canne. Je dois être salement marqué.
Elle pensait : il exagère ! (Il avait son pardessus).
- Fais voir ?
- Il voulait m’obliger à me mettre à genoux.
Ce disant, il avait enlevé sa veste, puis son chandail, il dégrafa et abaissa un peu sa chemise. Un énorme trait noir, large de deux doigts, marquait l’épaule gauche. »

Le portrait d’Henry POULAILLE est extrait du site Babelio.

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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