Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
BATONS ET SAINTS PROTECTEURS DU BETAIL

Dans son monumental « Folklore français » (1949, réédité en 1999 par Robert Laffont), Arnold VAN GENNEP (1873-1957) a recensé et interprété les multiples pratiques rituelles et coutumières de la France d’hier et de son temps. Il a consacré un long chapitre aux croyances et coutumes pastorales. Nous y avons relevé des pratiques magiques où un bâton, une baguette, sont bénies ou placés au contact de la statue d’un saint ou d’une sainte, puis posées sur le bétail afin de le protéger. Voici les extraits concernés:

Dans certains cantons du Berry, au milieu du XIXe siècle, selon un auteur rapporté par Van Gennep : « le vendredi qui se trouve neuf jours avant Pâques, dénommé Vendredi blanc, était une fête pastorale qui intéressait particulièrement les bergères. Ce jour-là, elles jeûnaient et, dans les environs de La Châtre, se rendaient par troupes nombreuses pour assister à la messe. Chacune d’elles y portait un petit faisceau de bâtons blancs ou de baguettes de coudrier dont l’écorce avait été enlevée et qui, parfois, avaient été « guisés », c’est-à-dire enjolivés de bizarres et capricieuses « guisées », sculptures, par les amoureux. Ces baguettes, d’un seul jet et coupées à certains jours de la lune, devaient, durant le cour de l’année, servir de « touches » pour « toucher » (conduire) et compter les brebis… Aux environs de Cluis, c’étaient particulièrement des gaules de « petou » (bouleau) que les bergères se procuraient le jour du Vendredi blanc ; elles allaient quelquefois les chercher fort loin… Quelques-unes de ces baguettes servaient aussi de quenouilles.
Ces baguettes du Vendredi blanc étaient toujours dans chaque faisceau de longueur inégale et en nombre impair.
Lorsque le prêtre de La Châtre avait béni les bâtons blancs, les bergères des environs… n’oubliaient jamais de toucher, et au besoin de battre assez vertement de leurs gaules la statue de saint Lazare placée dans l’une des chapelles de l’église. Car ce saint, à cause de la consonance de son nom, était pour elle la personnification du « hasard » et présidait essentiellement à la destinée si incertaine des troupeaux. Les bâtons blancs une fois consacrés étaient suspendus aux planchers des bergeries, où la bergère venait les prendre un à un au fur et à mesure des besoins. »

Et Van Gennep de commenter : « Il est évident que par leur bénédiction, ces bâtons blancs avaient acquis un pouvoir prophylactique qui peut s’obtenir aussi en coupant les verges, gaules, baguettes, fourches à la Saint-Jean ; en Bourbonnais, à la Sainte-Agathe (5 février) ou à d’autres dates. En Confolentais, dans la commune de Chassenon, les gardeuses d’oies et de cochon ne « touchaient » (conduisaient à la pâture) leurs bêtes qu’avec des baguettes de coudrier ou de genêt dont elles avaient d’abord grillé l’extrémité au bûcher de ce même jour ; dans le Pays Messin aussi, les baguettes à conduire les animaux devaient avoir été « fumées » à ce feu. Mais certaines essences d’arbres et d’arbustes seraient nuisibles aux bêtes. »

Il détaille ensuite les pratiques observées envers les saints :

« En Bourbonnais, à Néris-les-Bains, attouchement de la statue de sainte Agathe par des baguettes de coudrier, par les bergères des environ, « afin que les troupeaux qu’elles garderont avec cette branche soient préservés de toutes maladies pendant l’année » ; à Saint-Désiré (Allier,canton d’Huriel), bénédiction d’un bâton de bouleau par les pâtres, qui s’en servaient pour conduire les boeufs au pâturage et l’y plantaient afin de les empêcher de franchir les haies de clôture. »

En Bourbonnais encore, « dans le canton de Montmarault, les pâtres et les bergères apportaient leurs houlettes à l’église de Villefranche, le 1er mai, fête de la sainte Thorette, qui de son vivant avait été bergère et dont les reliques, d’abord conservées à Montcenux, avaient été transférées à Villefranche en 1698. Ces houlettes garnies de rubans et de fleurs étaient bénies, puis remportées pour « préserver les troupeaux ».

En Hainaut : « Dans le canton de Valenciennes-Est, à Sebourg, on trouve saint Druon ou Drogon, sur la statue duquel les propriétaires de bêtes à cornes frottaient une baguette de la tête aux pieds, avec laquelle ils frottaient, de retour chez eux, leurs bestiaux des cornes au bout de la queue « pour les protéger de tout mal ou les guérir de celui qu’ils avaient. » Autre saint aussi puissant dans la même région : saint Saulve, dont le nom déjà est une garantie ; là aussi, on chargeait de fluide sacré une baguette ou un bâton dont au retour on frappait les animaux de l’étable ; on venait de très loin à ce sanctuaire. Dans le canton d’Avesnes-Nord, on amenait, à Dompierre, au sanctuaire de saint Etton les vaches malades ou stériles ; on y pratiquait aussi le frottement d’une baguette. »

En Picardie, Artois : « La sainte pastorale par excellence des anciens diocèses de Cambrai et d’Arras était sainte Saturnine, dont le sanctuaire principal est à Sains (Pas-de-Calais, canton de Marquion). Encore peu avant 1939, on y venait le 20 mai commencer une neuvaine pour la conservation des bêtes à cornes et plus spécialement des vaches ; on passait un bâton sur la statue, puis au retour sur l’échine de la vache ; si elle était « en mal de veau », il fallait deux bâtons ; on se servait de l’un comme de canne pendant le voyage de retour et on mettait l’autre derrière la porte de l’étable. Les autres rites accomplis à ce sanctuaire avaient le même but. Saint Etton, dont le sanctuaire principal est à Dompierre, en a un secondaire à Bienvilliers-au-Bois, aussi avec le rite des baguettes frottées et avec bénédiction du pain ; il a encore un lieu de culte pour la protection de tous les bestiaux dans la Somme à Mailly-Maillet (canton d’Acheux), département où le rite des baguettes a été relevé vers la fin du XIXe siècle à Agenville (canton de Bernaville), sans indication de saint invoqué. »

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

Tags:

Leave a Reply