Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LA CANNE, PAR C. FOURNIER (1858) – 1

Ce poète nommé FOURNIER, sur lequel nous n’avons pu retrouver d’éléments biographiques, publia en 1858 à Paris, à l’imprimerie Guillois, un long poème où il chantait « La Canne ». L’objet était à la mode, aussi bien comme accessoire vestimentaire que comme instrument de défense et d’escrime.

Ce poème (très long, nous le publions en deux fois) est rempli de références à l’objet que nous connaissons bien. Il dédie d’abord son oeuvre à Balzac et à sa fameuse canne. Puis il dresse l’historique de la canne et montre qu’elle accompagna les grandes périodes de l’Histoire sous des formes diverses, que nous avons passées en revue sur ce site : le thyrse des bacchantes, le bâton de Moïse, le bâton des augures romains, le bâton qui frappait les serfs, la canne…à sucre et les coups de bâton aux esclaves, le bâton de commandement de Condé, la verge de l’huissier, la canne du muscadin, le stick des élégants, la canne interdite au théâtre lors de la pièce « Germanicus », mais aussi Pradier le bâtonniste, la canne de tambour-major, la canne des compagnons du Devoir, l’alpenstock, les fausses cannes de Voltaire, les cannes à systèmes, celles de Verdier, ses matériaux, etc.

FOURNIER n’hésite pas à recourir aux jeux de mots : La canne de Balzac appelle ses « canards » ; « Chanaan » devient « Canne à han » à propos du voyage des Juifs ; avec les Romains, il place une rime avec la bataille de Cannes ; il rencontre un voleur de… cane.

Ce n’est certes pas du Victor Hugo, mais il faut reconnaître que Fournier, comme il le dit lui-même à la fin de son poème, « a bien rempli sa journée ». Il fallait le faire !

Nous avons découvert ce poème insolite via le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. De nombreux autres sont déjà présents sur le CRCB, signe que la canne et le bâton ont inspiré les poètes au XIXe siècle.

« LA CANNE

« C’est la canne qu’il faut admirer, et l’homme qui la possède ; il n’a tout au plus qu’un mérite, la manière de s’en servir. »
La Canne de M. de Balzac, par Mme Em. de Girardin (Melle Delphine Gay) ; chap. 10.

Je vais chanter la Canne… En ce simple projet,
Serai-je, comme on dit, porté par le sujet ?
Peut-être… Pour le fond, pour la forme et le style,
La manière à traiter est assez difficile ;
Et, de plus, je ne sais, il faut bien l’avouer,
A quelle chaste muse, à quel saint me vouer,
Vu que parmi nos saints et les muses profanes,
Il n’est point d’attributs plus rares que les Cannes.

A défaut d’immortels, cherchons parmi les morts
Quelqu’un pour patroner mes débiles accords…
Je ne vois que Balzac, mon ancien condisciple ! (1)
Il portait crânement son obésité triple :
Sa canne était bien grosse ! Et Delphine a chanté
Le beau rotin qui passe à la postérité !

(1) Au collège de Vendôme, à une époque, hélas ! très éloignée, de 1810 à 1815.

Balzac ! en fait de Canne et canards, ô grand maître !
Quoique simple amateur (2), je suis digne peut-être
De parler de la Canne et de ses dérivés.
Puissé-je voir par toi mes efforts approuvés,
Quand je suspends au seuil du Temple de Mémoire
L’instrument qui te doit une part de sa gloire !
(2) Il y a beaucoup de collectionneurs de cannes. M. le comte de L… D… notamment en possède 150 fort belles ; mais la quantité, moins que le choix, mérite considération ; et, par exemple, nous ne donnerons pas le titre de collectionneur au jeune de L… qui en a acheté en peu de temps pour 44 000 francs.

La Canne fut jadis le signe révéré
Du pontife : il portait le baculum sacré ;
Mais des peuples païens le prêtre sanguinaire
A des meurtres cruels prêtait son ministère.

En ce temps-là, le jeune et glorieux Bacchus
Triomphait en buvant, et grisait les vaincus ;
Son père nourricier, trottant en Bactriane,
D’un thyrse aux pampres verts se faisait une Canne.

Les Juifs, vers Canne à han (3), jeu de mots très heureux,
Restauraient, dans la manne et le Cédron fougueux,
Une santé, par le jeûne, au désert compromise…
O Juifs, qui vous sauva ? La Verge de Moïse !

(3) On peut écrire Chanaan, mais c’est de l’hébreux pour nous.

Plus tard, chez les Romains, le Bâton Augural
Symbolisait un culte assez conjectural,
Et des faisceaux, formés de haches et de cannes,
Guidaient ces fiers guerriers aux champs fameux de Cannes.

Lorsque le moyen-âge aux malheureux manants
Imposait sans pitié ses devoirs dégradants,
De cet âge de fer lorsque la barbarie
Contre de pauvres serfs déployait sa furie,
Canne et Bâton aux mains de leurs maîtres altiers
Etaient, pour les vassaux, de rudes Justiciers.

A ces jours tumultueux, aux siècles d’ignorance,
Succéda des beaux-arts l’heureuse renaissance ;
La science reprit son céleste flambeau,
Et Colomb découvrit un continent nouveau.
C’est ainsi qu’en Europe on obtint l’avantage
De consommer du sucre ; et, grâce à l’esclavage,
La Canne (au dos du nègre, hélas, il en a cuit !)
Activait la récolte, et produisait le fruit.

La Canne, de tout temps, obtint, dans notre France,
A la Cour, à l’Armée une grande importance.
Avec elle Louis commande, d’un oeil sûr,
Le passage du Rhin et l’assaut de Namur.
Condé, dans les remparts de Fribourg qu’il assiège,
Jette au loin son bâton, dont l’heureux privilège
Rendit ses compagnons vainqueurs dans cent combats,
Certains de le reprendre avec de tels soldats.

La Canne aidait le pas des nobles douairières,
Qui promenaient ainsi leurs loisirs ordinaires,
Non plus au bras d’un page ou d’un beau Sigisbé,
Mais avec leur Azor ou leur petit abbé.
Grands seigneurs, courtisans et fermiers des gabelles,
Aimaient, en l’agitant, à montrer leurs dentelles.
Sous cet ancien régime enfin, jusqu’au Palais,
La publique faveur par elle avait accès :
A tel point qu’à son banc, avec son plat visage,
Monsieur l’huissier à verge était un personnage. »

(A suivre…)

L’illustration du présent article est une gravure représentant Antigone conduisant son père aveugle, l’un et l’autre marchant avec une canne ou un long bâton ; extrait de « La Semaine des enfants » du 20 avril 1864.

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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