Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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UNE SCENE DE RIXE ENTRE COMPAGNONS EN 1828

Souvenir du tour de France

Au XVIIIe siècle et jusque dans les années 1850, les compagnons de divers métiers mais de rites différents (du Devoir et du Devoir de Liberté, Passants et Etrangers) se sont violemment affrontés pour des questions d’honneur, de préséance, de monopole des embauches dans les villes, de concurrence sur les chantiers, de hiérarchie entre vraies sociétés et pseudo-compagnonnages, etc. Les occasions ne manquaient pas. L’abus de vin lors des conduites (cortèges formés pour accompagner le compagnon partant, à la sortie de la ville) favorisait les querelles entre les uns et les autres. Les cordonniers, boulangers, sabotiers eurent notamment à souffrir du mépris et des coups des charpentiers, couvreurs, charrons, tanneurs, etc.
Si ces rixes ont donné lieu à de multiples condamnations devant les tribunaux correctionnels, elles ont très rarement été été illustrées. C’est pourquoi le document ci-joint est particulièrement intéressant.
Il s’agit d’un « souvenir du tour de France », d’un beau dessin aquarellé, très probablement réalisé à Bordeaux par Etienne Leclair, le même qui en fit une trentaine d’autres connus sous la Restauration. On lui doit aussi le brevet de maître de bâton reproduit dans l’article « les grades des compagnons bastonneurs« .

Qu’y voit-on ? Un compagnon fièrement campé au centre du tableau, en redingote et chapeau haut de forme. Il s’agit de « Languedoc le Victorieux compagnon charron du St Devoir de Dieu et de Ste Catherine reçu à Nantes le 6 avril 1828″. Le charron était l’artisan qui fabriquait les véhicules à roues tirés par les chevaux. Leur sainte patronne était sainte Catherine d’Alexandrie, martyrisée aux premiers temps du christianisme par une roue hérissée de pointes (qui se rompit avant de la broyer).
Deux angelots tiennent, l’un une hache, l’autre une herminette, et deux autres embouchent les trompettes de la renommée en l’honneur du compagnon. Entre eux se trouve un médaillon où figure sainte Catherine et sa roue brisée, ainsi que la scène de sa décollation. Au-dessus du compagnon on voit le « blason » de sa corporation, composé d’un compas, d’une plane et d’une équerre.
Languedoc le Victorieux est accompagné d’un caniche qui tient dans sa gueule une enveloppe où est inscrite la vertu suprême du compagnon : Fidélité. Le compagnon tient sa canne enrubannée de « rouleur » (maître de cérémonie et préposé au placement des arrivants dans les ateliers). Ses « couleurs » (rubans) flottent à sa boutonnière.
La sène qui justifie la présence de cette oeuvre sur ce blog est située tout en haut du tableau. Elle nous montre le même compagnon brandissant sa canne pour frapper un autre compagnon d’une société non reconnue : sans doute un boulanger, un cordonnier, un menuisier du Devoir de Liberté (ou Gavot) . L’homme est à terre, son chapeau est tombé, ses cheveux sont hérissés de terreur et il tend les bras vers son agresseur comme pour implorer sa clémence.

Agrandissement

A droite, la déesse ailée de la Victoire dépose une couronne de laurier sur la tête de Languedoc. Sous la scène, pour qu’il n’y ait pas d’équivoque sur l’identité du compagnon vainqueur, le peintre a écrit : LE VICTORIEUX.
Cette scène très vivante, animée, brutale aussi, reflète la fierté que les compagnons d’autrefois tiraient d’actes inspirés par le fanatisme et où l’honneur était bafoué, car on ne frappe pas un homme à terre. Ce sont toutes les contradictions de l’ancien Compagnonnage, celles-là même que dénonça Perdiguier dans son « Livre du Compagnonnage » en 1839.
Ce tableau appartient à une collectionneur privé.

Article proposé par Laurent Bastard. Merci :)

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