Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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THEODON FILS, UN GRAND FABRICANT DE CANNES PARISIEN EN 1849

Il n’est pas facile de découvrir des informations sur les fabricants de cannes des siècles passés, aussi le texte qui suit est-il particulièrement utile pour connaître leurs noms mais aussi les matériaux employés, les prix, les débouchés de leur production, etc. Malgré sa longueur, nous avons voulu en reproduire de larges extraits car ce document présente un intérêt certain pour l’histoire de la canne.
Il s’agit du « Rapport du jury central sur les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849″, tome III, Imprimerie nationale, 1850. Ce livre est consultable dans son intégralité sur google.books.
Pages 730 à 745 : « Baleines, cannes, parapluies, ombrelles, fouets et cravaches. M. Natalis RONDOT, rapporteur.
Le travail de la baleine, de la corne et des cannes, la fabrication des parapluies, des fouets et des cravaches constituent, réunis, une industrie qui a pris, depuis vingt ans, une rapide extension. (…) M. CAZAL, à qui l’on doit plusieurs perfectionnements utiles, a publié, (…) un petit livre assez curieux : Essai historique, anecdotique, sur le parapluie, l’ombrelle et la canne et sur leur fabrication ; Paris, 1844. (…)
Il y a moins à dire sur les cannes, les cravaches, les fouets (que sur les parapluies), parce que leur travail offre naturellement moins d’intérêt. Nous avons à soutenir pour ces articles la concurrence de l’Angleterre et de l’Allemagne. Londres, Hambourg, Vienne et Berlin ont acquis, dans certains genres, une réputation méritée ; ils font, il faut le reconnaître, mieux et meilleur marché. Aussi, expédions-nous peu dans ces deux pays ; ajoutons que nous n’y avons pas fait connaître avantageusement notre fabrication ; à différentes époques, on y a présenté des pacotilles de cannes et de cravaches à 2 fr. 50 cent. la douzaine, de fouets à 6 francs la douzaine, de ce qu’on appelle de la camelote, et dont la vente n’est possible et convenable que dans les colonies ou l’Amérique du Sud.

Malgré cette défaveur, nous exportons partout la fantaisie et la nouveauté en canne, fouet et cravache ; nous sommes, pour cette spécialité, sans rivaux, et c’est vraiment chose merveilleuse que cette supériorité que nous donnent pour le moindre objet notre goût, la forme et la coquetterie de notre travail. Telle canne, seulement dressée et vernie, dont Hambourg, grâce à la franchise de droits, nous enlèverait la vente, sera expédiée par nous-mêmes à Hambourg, si nous y mettons une monture. (…) »
Après cette présentation générale, le rapporteur donne la liste des exposants récompensés. Nous reviendrons sur certains d’entre eux, mais pour le moment voici ce qui est écrit à propos de celui qui reçut la médaille d’argent :
« M. THEODON fils, rue Saint-Denis, n° 278, à Paris (Seine).
M. Théodon fils est, sous tous les rapports, le premier fabricant de Paris pour la canne, le fouet et la cravache d’exportation. Il fabrique depuis quelques années pour une valeur de 260 à 300 000 fr. Les neuf dixièmes de ses produits sont exportés en Angleterre, en Russie, en Hollande, en Espagne, en Italie, dans les deux Amériques et dans l’Inde ; il ne rencontre et ne redoute, pour les genres auxquels il s’est attaché, aucune concurrence étrangère.
Son établissement, rue Saint-Denis, n° 278, se compose de sept ateliers, et comprend des magasins de matières premières et d’assortiments de cannes, fouets et cravaches, de modèles et de montures. Il est si rare de trouver dans l’industrie parisienne cette concentration, dans un même local et sous une même direction, de branches diverses, si multipliées, de la fabrication ; il y a un intérêt si sérieux à acquérir et donner la preuve du fait, que nous allons faire connaître la population ouvrière qu’occupe chez lui M. Théodon.
3 contre-maîtres ; 3 apprentis ; 4 tourneurs ; 2 façonneurs, refouleurs et mouleurs de corne ; 6 façonneurs, refouleurs et sculpteurs de baleine ; 1 plaqueur et incrusteur d’ivoire, nacre, écaille, etc. ; 2 fabricants de bouts de canne en fer, cuivre, maillechort, etc. ; 12 monteurs, garnisseurs, finisseurs de cannes ; 2 tresseurs à la mécanique en boyau, soie et coton ; 2 garnisseurs en cuir pour cannes, fouets et cravaches ; 1 tresseur au boisseau pour les tresses en fils d’argent ou de fer ; 4 brodeurs à l’aiguille, en soie, boyau ou fil, pour garniture ; 1 sculpteur en ivoire ; 7 apprêteurs, monteurs, vernisseurs, finisseurs de fouets et cravaches. Enfin, dans l’atelier de bijouterie, où se fait aussi un peu d’émail, de plaqué et de dorure, travaillent 2 bijoutiers-fondeurs ; 6 dessinateurs, graveurs, ciseleurs ; 6 bijoutiers, joailliers-bijoutiers et finisseurs. (total) : 64.
Tous ces ouvriers, engagés à la journée ou à la tâche, gagnent de 3 fr. 50 cent. à 6 francs ; en moyenne 4 fr. 50 cent. Quelques-uns sont des artistes assez habiles pour devoir être payés 8 francs par jour. Le salaire des femmes, réglé à la pièce, varie de 1 fr. 50 cent. à 2 fr. 25 cent.
Indépendamment des 64 ouvriers de ses ateliers, M. Théodon occupe au dehors, faute de place, des ouvriers éclisseurs, tisseurs et tresseurs, vernisseurs, mouleurs d’écaille, plaqueurs, des brodeuses, brunisseuses et polisseuses et différents entrepreneurs pour travailler la baleine et la corne, sculpter l’ivoire, fondre, estamper, émailler, etc.
Les matières premières entrent brutes dans ses ateliers ; toutes elles y sont façonnées, montées, finies et sortent converties en cannes, fouets et cravaches. L’activité imprimée au travail en assure l’économie sans nuire à l’exécution (…)
Pour la canne d’exportation, M. Théodon fils n’a pas de rival ; il l’établit en jonc, en rotin, en houx et en laurier, comme en ivoire, en baleine et en corne. Il s’est fait surtout une spécialité pour la monture et la pomme en bijouterie. Ses 6 à 700 modèles sont en général d’un bon dessin, appropriés au goût étranger, et, dans ce but, variés à l’infini.
Parmi tant de jolies fantaisies, nous citerons les tressés en fil d’argent, les figurines en fonte, les poignées en cornaline, en corail ou en aventurine rehaussée d’or et de perles et tous ces petits sujets gravés, émaillés, ciselés dans lesquelles excelle le bijoutier parisien.
On exporte des cannes à 2 fr. 50 cent. et 6 francs la douzaine ; celles dont s’occupe principalement M. Théodon sont du prix de 24 à 36 francs ; il en livre également un bon nombre à 10, 15 et 20 francs la pièce pour l’Amérique, et pour compléter les assortiments.
M. Théodon fabrique tous les genres, à tous les prix et pour toutes les parties du monde ; c’est un homme habile que le succès a encouragé, dont l’intelligence a secondé la hardiesse et fait la réputation. Il se présente pour la première fois au concours de l’industrie. Le jury lui décerne une médaille d’argent. »
A la lecture de ce document, on mesure l’importance de ce fabricant, qui travaillait beaucoup pour l’exportation. On notera les matières premières employées : jonc, rotin, houx, laurier pour les fûts de canne, mais aussi corne, ivoire, fanons de baleine, et toutes celles qui composent les embouts et les pommes (nacre, écaille, ivoire, fonte). Son catalogue comportait 600 à 700 modèles, ce qui est considérable, tout autant que son chiffre d’affaires et le nombre d’ouvriers occupés à la fabrication.

Quelqu’un connaît-il des cannes issues de la maison Théodon et son entreprise a-t-elle été reprise par un autre fabricant durant la seconde moitié du XIXe siècle ?

Article proposé par Laurent Bastard. Merci :)

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