Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LES RUADES DE PEGASE (3)

Voici la suite de cette série extraite du long article de Monsieur Ian Geay – Editeur (merci pour cette contribution).

« Les ruades de Pégase
une histoire littéraire à bâtons rompus »

De tout temps, partout, dans toutes les classes de la société, on s’est accordé à rudoyer la marée-chaussée dont la première fonction semble être de se faire frotter les abattis. En ce qui concerne les poètes, ce fut surtout pour leurs prétentions aux bonnes fortunes, nous dit Fournel, qu’ils se firent souvent bâtonner par les gentilshommes : « c’était la manière reçue la plus sûre et la plus facile de leur faire payer une préférence qu’ils conquéraient parfois à force de belles manières et de beau langage ». Beaucoup éprouvèrent à leurs dépens la vérité d’un proverbe qui vaut aujourd’hui encore pour sa sagesse : Trop parler nuit !

Mais que les rougeoyants ayatollahs de l’égalité se rassurent : il y avait encore à l’époque de l’équité dans le bâtonnage ! Il n’y a pas que les écrivaillons à qui on faisait fermer le clapet à coups de houssine. Les noms les plus glorieux et les plus respectés côtoyaient les plus médiocres dans la liste du martyrologe des auteurs, celui de Nicolas Boileau en tête.

Régnard disait à son propos que « son dos même endurci s’était fait aux bastonnades », car il avait pour lui et pour bouclier une sévérité de mœurs égale à la sévérité de ses vers. Ce qui n’empêche Bussy-Rabutin de prévenir amicalement le législateur du Parnasse qu’en voulant toujours mordre comme un chien furieux, il en aurait aussi la destinée :
Tu penses toujours battre, et tu seras battu.
Tu déchires les morts sans respecter leur cendre
Lorsqu’il est des vivants qui peuvent te le rendre.

D’ailleurs, on trouve sous la plume de P. Sanlecque la preuve que l’on aura bien réprimé « sa trop grande fureur de mordre et de rimer » pour reprendre les termes de Pinchesne : « dans un coin de Paris, Boileau tremblant et blême fut hier bien frotté, quoiqu’il n’en dise rien. » Et dans une pièce intitulée L’Entretien en prose de Scarron et de Molière aux Champs Élysée, Scarron confirme l’abonnement de l’écrivain aux taloches : « l’on m’a rapporté que Boileau avait reçu des coups de bâton pour en avoir trop pincé. Ce ne sont que des ruades de Pégase, répond philosophiquement Molière ». Mais l’épisode le plus connu concernant l’irrésistible attraction de Boileau pour le cotret noueux concerne l’un de ses bons mots : « J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon ». Cent coups de bâtons lui furent expédier par la poste en attendant mieux par un hôtelier blaisois, qui portait le nom de Rolet et qui se crut directement insulté par le grand satirique français ! La renommée ne vaccine pas contre le bâton. Et ce ne sont pas L’Arétin, Molière ou Racine qui contrediront cette nouvelle vérité !

A lire l’essai de Fournel, nous en sommes convaincu : l’influence et la souveraineté du bâton est telle et si bien établie par l’usage, qu’il semblerait que même quand « il eût été plus facile et plus simple d’employer un autre instrument de correction, celui-là était le premier, le seul, pour ainsi dire, qui vînt à la pensée », et que l’écrivain fut la première victime d’un tel fétichisme. Dans « le Missodrie ou le méchant bâtonné », tiré des Jeux de l’inconnu (1637), De Vaux entérine ce trait d’époque à travers « l’instructive histoire d’un poète satirique et mauvaise langue, tellement battu, tellement roué de coups qu’il en est venu à haïr toute image du bâton et à fuir, jusque dans sa maison et dans ses meubles ce qui pourrait lui rappeler de près ou de loin, ce bois odieux dont il a été si souvent la victime ». Cela nous confirme que le bois vengeur est partout comme l’ont bien compris de nos jours les architectes chargés de rénover le parc pénitentiaire. Tout dans le mobilier carcéral est coulé d’une seule et même pièce dans des matériaux incassables pour éviter que les matons ne goûtent la cuisante actualité des Paroles de l’Écriture : « quiconque se sert de l’épée périra par l’épée ». Le tonfa comme la matraque ne sont que les résurgences de cette vieille manie d’asseoir son pouvoir et sa domination à coups de bâton ! Il serait pourtant faux et trompeur de faire du bâtonage l’apanage des seules forces de coercition ou même des possédants.

Les gens de rien délaissent volontiers les jeux de mains pour le rapport armé. Aussi les coups de canne des gentilshommes, les coups de hallebarde des suisses ou les coups de bâtons des valets ne suffisent-ils plus aux gens de lettres qui, très tôt – le contraire aurait été dommage –, se mettent à se foutre sur la gueule, entre eux, de la même façon. « On eût dit qu’ils voulaient autoriser et perpétuer cet usage infamant, en donnant eux-mêmes un exemple dont ils n’avaient plus le droit de se plaindre qu’on abusât contre eux ».

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