Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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UN VOL DE CANNE DE COMPAGNON EN 1885

Les cannes des compagnons du tour de France sont devenues de beaux objets après 1850, réalisés avec soin par des artisans spécialisés. Elles étaient souvent agrémentées d’ornements gravés sur l’embout, de pastilles en argent ou en ivoire sur la pomme, de cordelières en soie noire, etc. Tout cela attirait la convoitise des voleurs, moins au sein même des compagnonnages à la fin du siècle, que d’individus de l’extérieur.

Voici ce qui figure à ce sujet dans le journal « Le Ralliement des compagnons du Devoir », n° 33, du 8 février 1885, p. 6. Il s’agit d’un compagnon boulanger qui a signalé le vol de sa canne :

« Nous sommes priés de faire connaître au Tour de France que la canne du Pays Gascon le Triomphant, compagnon boulanger du Devoir, résidant à Bordeaux, lui a été dérobée.
Voici son signalement, afin que ceux qui liront ces lignes puissent la reconnaître si toutefois elle était vue entre les mains d’un Compagnon, ce que nous doutons : la pomme est en ivoire gravée aux initiales de Gascon le Triomphant, C.B.D.D. 3. 5. 7. et une couronne de laurier autour ; les yeux de la canne sont en argent ; l’embout est nikelé et porte les insignes se rattachant à la profession de boulanger, gravés dans le haut de l’embout. (…) »

Le rédacteur du journal donne ensuite connaissance d’une lettre du compagnon victime du vol :
« En réponse à votre lettre dans laquelle vous me demandez des renseignements plus précis sur le vol de ma canne, je vous informe qu’elle m’a été volée dans ma chambre. Elle est, comme vous le dites, très belle ; c’était une des plus jolies du Tour de france, car très peu sont aussi bien gravées qu’était la mienne. (…) BENGUET, dit Gascon le Triomphant, Compagnon boulanger du Devoir, Enfant de Maître Jacques ».

Et le rédacteur d’évoquer à son tour un souvenir :
« Ceci me rappelle un fait. Etant dans notre Cayenne d’Elbeuf, au retour d’une conduite chez notre Mère, un compagnon avait laissé sa canne. Nous étions encore une dizaine de compagnons. Je vis un individu sortir avec une de nos cannes, je sortis immédiatement, pris les devants et lui pris la canne qu’il tenait cachée ; cet individu n’était nullement compagnon, même pas connu de nous.
Je suppose que je ne me sois pas aperçu de ce larcin, justement, le compagnon à qui appartenait cette canne étant parti, il est tout probable qu’il aurait supposé qu’elle lui aurait été prise par un compagnon.
Ce qui me porte à croire que la canne de notre Frère Benguet peut parfaitement avoir été dérobée par un étranger au compagnonnage.
Si toutefois ce fut l’oeuvre d’un mauvais compagnon, il ne pourra pas la porter sans être bientôt reconnue par les uns ou les autres. »

Un petit complément pour les lecteurs non familiers avec le vocabulaire compagnonnique. « Pays » signifie « frère », « camarade ». « Enfant de Maître Jacques » se réfère à l’un des deux fondateurs légendaires du Compagnonnage du Devoir. Le mot « cayenne » désigne le siège d’une association de compagnons, qui était autrefois un hôtel-restaurant ; la patronne prenait le nom de Mère. Enfin une conduite est un cortège formé par les compagnons d’une ville pour conduire à la sortie de la ville le compagnon qui poursuit son tour de France.

Enfin, ajoutons que le compagnon Benguet n’eut pas de chance l’année suivante, puisqu’il fut exclu à vie du siège de Bordeaux en 1886 !

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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