Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE CAPITAINE FRACASSE PARE LES COUPS DE BATON

Théophile GAUTIER, habile canniste et bâtonniste en sus d’être romancier, s’en est donné à coeur joie lorsqu’il a écrit « Le Capitaine Fracasse » en 1863. Il y insère une longue scène de rixe où les coups de bâtons volent de toute part. Rappelons le sujet de ce roman. Sous Louis XIII, le baron de Sigognac s’engage dans une troupe de comédiens par amour pour l’actrice Isabelle. Mais celle-ci est aussi courtisée par le duc de Vallombreuse. Sigognac, alias le Capitaine Fracasse, blesse le duc en duel parce qu’il s’est trop approché de sa belle. Le duc veut alors se venger l’affont subi.

Voici de larges extraits du chapitre IX : Coups de bâton, coups d’épée et autres aventures.

« La représentation était finie. Retirés dans leurs loges, les comédiens se déshabillaient et reprenaient leurs habits. Sigognac en fit autant, mais il garda, s’attendant à quelque assaut, son épée de Matamore. C’était une bonne vieille lame espagnole, longue comme un jour sans pain, avec une coquille de fer ouvragée qui enveloppait bien le poignet, et qui, maniée par un homme de coeur, pouvait parer des coups et en porter de solides, sinon de mortels, car elle était épointée et mousse selon l’usage des armes de théâtre, mais cela suffisait bien pour la valetaille que le duc avait chargée de sa vengeance.

Hérode, robuste compagnon aux larges épaules, avait emporté le bâton qui lui servait à frapper le lever de rideau, et avec cette espèce de massue, qu’il manoeuvrait comme si c’eût été un fétu de paille, il se promettait de faire rage contre les marauds qui attaqueraient Sigognac, cela n’étant pas dans son caractère de laisser ses amis en péril. »

Hérode conseille alors à son ami de laisser partir devant eux les comédiennes (« les femelles dont les piaillements nous étourdissaient »), Léandre, « poltron comme la lune » et Blazius « trop vieil ». Il rassure son ami : « mon bâton est au service de votre rapière ». Ils ne gardent avec eux que l’agile Scapin, qui saura étendre par terre les assaillants d’un croc-en-jambe.
Sigognac approuve ce plan de défense : « Ca, dégainons l’épée ; vous brandissez votre massue, et que Scapin fasse un plié de jarret pour se rendre la jambe souple. » Puis ils quittent le théâtre, s’engageant dans une ruelle « noire, tortueuse, inégale de pavés, merveilleusement propre aux embuscades. »

Là, « Basque, Azolan, Labriche et Mérindol, les estafiers du jeune duc, attendaient déjà depuis plus d’une demi-heure le passage du capitaine Fracasse, qui ne pouvait rentrer à son auberge par un autre chemin. Azolan et Basque s’étaient tapis dans l’embrasure d’une porte, d’un côté de la rue ; Mérindol et Labriche, effacés contre la muraille, avaient pris position juste en face, de manière à faire converger leurs bâtons sur Sigognac, comme les marteaux des Cyclopes sur l’enclume (…) Ils se tenaient piétés, les doigts repliés sur le gourdin, prêts à s’acquitter de leur besogne, sans se douter qu’ils avaient affaire à forte partie, car d’habitude les poètes, histrions et bourgeois que les grands daignent faire bâtonner, prennent la chose en douceur et se contentent de courber le dos.

Sigognac, dont la vue était perçante, bien que la nuit fût fort noire, avait depuis quelques instants déjà découvert les quatre escogriffes à l’affût. Il s’arrêta, et fit mine de vouloir rebrousser chemin. Cette feinte détermina les coupe-jarrets, qui voyaient leur proie s’échapper, à quitter leur embuscade pour courir sus au capitaine. Azolan s’élança le premier, et tous crièrent : « Tue ! tue ! Au capitaine Fracasse de la part de monseigneur le duc ! ».

Sigognac avait enveloppé à plusieurs tours son bras gauche de son manteau, qui formait, ainsi roulé, une sorte de manchon impénétrable ; de ce manchon, il para le coup de gourdin que lui assénait Azolan, et lui porta de sa rapière une botte si violente en pleine poitrine, que le misérable tomba au beau milieu du ruisseau le brechet effondré, les semelles en l’air et le chapeau dans la boue. Si la pointe n’eût été mornée, le fer lui eût traversé le corps et fût sorti entre les deux épaules.

Basque, malgré le mauvais succès de son compagnon, s’avança bravement, mais un furieux coup de plat d’épée sur la tête lui fracassa le moule du bonnet et lui montra trente-six chandelles en cette nuit plus opaque que poix. La massue d’Hercule fit voler en éclats le bâton de Mérindol, qui, se voyant désarmé, prit la fuite, non sans avoir le dos froissé et meurtri par le formidable bois, si prompt qu’il fût à tirer ses guêtres.

L’exploit de Scapin fut tel : il saisit Labriche à bras le corps d’un mouvement si prompt et si vif, que celui-ci, à demi-étouffé, ne put faire aucun usage de son gourdin, puis, l’appuyant sur son bras gauche et le poussant de son bras droit de manière à lui faire craquer les vertèbres, il l’enleva de terre par un croc-en-jambre sec, nerveux, irrésistible comme la détente d’un ressort d’arbalète, et l’envoya rouler sur le pavé dix pas plus loin. La nuque de Labriche porta contre une pierre, et le choc fut si rude, que l’exécuteur des vengeances de Vallombreuse resta évanoui sur le champ de bataille avec toutes les apparences d’un cadavre. Désormais la rue était libre (…). »

Mérindol, reprenant ses esprits, regagne alors l’hôtel Vallombreuse pour rendre compte au duc de leur défaite : « il ralentit le pas, car il allait se trouver en face de la colère du jeune duc, non moins redoutable que le gourdin d’Hérode. »

L’entretien est en effet orageux : « Comment cela ? fit le duc avec un mouvement de colère ; à vous quatre vous n’avez pas réussi à bâtonner cet histrion ?
- Cet histrion, répondit Mérindol, passe en vigueur et en courage les Hercules fabuleux (…). J’ai eu mon bâton cassé sous la massue du sieur Hérode, et l’épaule froissée de façon à ne pas me servir de mon bras d’ici à quinze jours.
- Vous nêtes que des veaux, des gavaches et des ruffians sans adresse, sans dévouement et sans courage ! (…) Puisque les bâtons ne suffisaient pas, il fallait prendre les épées !
- Monseigneur, répondit Mérindol, avait commandé une bastonnade et non un assassinat. Nous n’aurions osé prendre sur nous d’outre-passer ses ordres. »

La gravure illustrant l’article représente un combat burlesque entre Taglia Cantoni et Fracasse, deux personnages de la comédie italienne en vogue au XVIIe siècle. Il est extrait d’un article de « Lectures pour tous » (1901) sur « Le théâtre du rire et ses types burlesques ».

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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