Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LA CANNE DE PAIN-AU-LAIT PAR ELISEE RECLUS (1861)

Jacques ELISEE RECLUS (1830-1905) fut un géographe français mais aussi un militant anarchiste, engagé durant la Commune. Il publia de nombreux livres et articles qui font encore de lui une référence en matière d’étude des peuples.
De 1855 à 1857 il projeta de s’installer en Nouvelle-Grenade comme planteur, mais renonça à ce projet, faute de capitaux et éprouvé par les fièvres. La Nouvelle-Grenade correspond aux actuels Etats de la Colombie (où était Elisée Reclus), au Panama, au Venezuela et à l’Equateur.
De ce séjour il publia en 1861 un récit très documenté intitulé « Voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe ; paysages de la nature tropicale ».

Au cours de ses déplacements, il rencontra un étonnant personnage porteur d’une canne mystérieuse : le caporal Pain-au-Lait…

P. 256-259 : « Nous arrivons à la terrasse pierreuse où s’élèvent les huttes du pueblo indien de San-Antonio et son église ruinée. Quelques minutes après nous étions dans la cabane de Pain-au-Lait (Pan-de-Leche), le célèbre cacique ou caporal des Aruaques.

Pain-au-Lait (…) était un petit homme à la peau d’un rouge noirâtre et aux traits sillonnés d’innombrables rides. A sa démarche aisée, à son regard tranquille, on reconnaissait l’homme riche et noble, fier de descendre d’une longue série d’aïeux et satisfait du sort que lui avaient accordé les richesses de ce bas monde. I possédait en effet une dizaine de bœufs, deux mulets, plusieurs plantations de cannes à sucre, et, le premier de sa race, il s’était donné le luxe de manger de ces pains au lait auxquels il devait son nom burlesque (…).

Pain-au-Lait n’avait eu qu’un malheur dans sa vie : pendant qu’il se baignait dans la rivière de Rio-Hacha, un crocodile lui avait d’un coup de dent enlevé la main droite ; mais, en homme avisé, Pan-de-Leche avait su faire tourner ce malheur à sa plus grande gloire ; il s’était aussitôt fait fabriquer une main en fer-blanc, que par courtoisie on était convenu de prendre pour de l’argent, et depuis il n’était jamais sorti sans attacher à cette main brillante une canne à pomme d’or qui se balançait majestueusement à son côté. Cette canne, célèbre dans toute la province de Rio-Hacha, était une main de justice, un sceptre royal, une verge de magicien, et les Aruaques n’osaient la regarder qu’en tremblant. Avait-elle une âme ? était-elle un dieu ? Pain-au-Lait aurait seul pu renseigner ses sujets à cet égard ; mais il était muet sur cette canne mystérieuse qui faisait de lui un prophète et un roi. »

Cependant, le respect craintif dû à sa canne n’opérait pas en matière électorale :

P. 277-278 : « Par reconnaissance, par la force des traditions et par cet antagonisme naturel des races qui jette tous les Indiens dans le parti libéral et la plupart des blancs dans le parti conservateur, les Aruaques se sont rangés comme un seul homme sous le drapeau du progrès. Lors des élections, toutes les voix sont acquises au candidat avancé, excepté la voix de Pain-au-Lait, qui se croit obligé par ses richesses et son titre de caporal de se proclamer conservateur ; mais son exemple n’entraîne personne et l’on dit même qu’un jour de scrutin il fut chassé de l’église parce qu’il avait tenté de troubler le vote en brandissant sa canne à pomme d’or. »

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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