Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LA FEMME-HOMME, SA CANNE ET LE SUCRE (1839)

Depuis l’Antiquité les satires envers les femmes sont nombreuses dans les œuvres littéraires. La Journée internationale des droits des femmes permet de se souvenir des moqueries qu’elles ont longtemps eu à subir dans ce domaine, et en particulier dans les pièces de théâtre. En voici un exemple tiré d’un vaudeville intitulé « La France et l’industrie, vaudeville allégorique en un acte, à propos de l’exposition des produits de 1839 », par Pierre TOURNEMINE et Adolphe GUÉNÉE, représenté pour la première fois au théâtre de la Porte Saint-Antoine le 3 juin 1839.

Divers personnages allégoriques (la France, la Justice, l’Industrie, la Camelote, l’Entreprise, le Chevalier d’industrie, etc.), interviennent, ainsi que la Femme Homme et l’Homme Femme, caricatures des femmes de l’époque qui reprenaient les attributs des hommes, comme le vêtement et le cigare (on pense à George Sand), et à l’opposé, des dandys efféminés.

La scène X met en scène la France, la Justice, M. et Mme Crifort, la femme homme et l’homme femme, ces deux dernières ainsi décrites : « la première porte une ombrelle, la seconde a pour canne une espèce de rotin, et fume un cigare qu’elle tient à la bouche. [en fait c’est l’inverse]». La femme homme, prénommée « Monsieur Frédéric », vient à l’exposition présenter son invention, accompagnée de l’homme femme, prénommé Adélaïde..

« LA FEMME HOMME.
Il y a assez longtemps qu’on accuse et qu’on méprise la faiblesse des femmes : il faut que les femmes se réhabilitent aux yeux du monde, qu’elles fassent aussi une bonne révolution, et qu’à leur tour elles occupent les emplois et les charges.

LA FRANCE.
Mais ce n’est pas là probablement l’invention pyramidale dont M. Frédéric parlait tout à l’heure, et cette digression…

LA FEMME HOMME.
C’est juste ; et d’ailleurs mes idées sur l’émancipation de la femme ont encore besoin de mûrir. J’en reviens au but de ma visite. J’habite Alfort où je tiens une raffinerie…

L’HOMME FEMME.
De sucre…

LA FEMME HOMME.
De bêtes raves ; mais comme en raffinant, le raffineur veut toujours raffiner, à force de travail j’ai trouvé un moyen qui permettra désormais de laisser exclusivement aux vaches cette plante potagère, et je vous annonce à tous, que je ferai du sucre des îles à 95 pour cent au-dessous du prix ordinaire.

LA FRANCE.
Si vous pouvez me doter de cette industrie nouvelle, comptez que ma reconnaissance…

L’HOMME FEMME.
Madame aime le sucre, à ce qu’il…

LA FEMME HOMME.
Silence, Adélaïde ; ma recette est simple. Vous allez dans un jardin, un bois… ou tout autre endroit forestier…

L’HOMME FEMME.
N’importe.

LA FEMME HOMME.
Silence, donc… Vous coupez une petite branche. (Montrant son rotin) Comme qui dirait à peu près celle-ci.

L’HOMME FEMME.
Voilà déjà la canne.

LA FEMME HOMME.
Adélaïde, taisez-vous… Une fois que vous l’avez en votre possession, vous la trempez dans une composition…

L’HOMME FEMME.
De sa composition.

L’HOMME FEMME.
Vous l’y laissez infuser, et quand vous la retirez, vous avez une véritable canne à sucre.

CRIFORT, Mme CRIFORT, et les CURIEUX.
Ah la belle découverte !

LA FEMME HOMME.
Vous concevez l’immense économie d’un pareil meuble ? Vous êtes altéré, vous vous trouvez dans les champs…

L’HOMME FEMME.
Au bord d’un ruisseau…

LA FEMME HOMME.
Vous y plongez votre canne, et cela vous épargne quarante centimes, prix ordinaire d’un verre d’eau que vous iriez prendre au café. Dans tout ce qui demande du sucre, vous trempez votre canne. (A la Justice). Tenez, goûtez-moi ce rotin-ci.

LA JUSTICE.
Laissez donc.

Mme CRIFORT.
Voyons, moi je me décide… ça ne sent rien.

LA FEMME HOMME.

Parce que la préparation n’a peut-être pas encore eu le temps d’agir, mais avant quinze jours…

LA FRANCE.

Ah ! vous êtes folle !
AIR : Il me faudra quitter l’empire.
C’est vers Alfort, m’avez-vous dit, ma mie,
Que vous avez fait vos premiers essais,
Continuez votre raffinerie,
Mais croyez-moi, pour avoir du succès,
Ne faites plus que des sucres français.
Et pour vous dire ma pensée entière,
Sur le produit de cette invention,
Dans l’intérêt de l’exploitation,
Vous auriez dû traverser la rivière
Et vous loger à Charenton.

LA FEMME HOMME.
A Charenton !… est-ce une personnalité ? Morbleu ! Ventrebleu ! si je le savais…

L’HOMME FEMME.
Oui, si elle le savait !… »

La JUSTICE et LA FRANCE les invitent alors à quitter les lieux, et la FEMME HOMME est en colère…

Voilà comment le théâtre d’alors imaginait les femmes qui se prenaient pour des hommes, incapables d’inventer qui que ce soit, ignorantes, stupides et dignes d’être enfermées à l’asile de fous de Charenton… Quelques décennies passèrent lorsque Marie Curie eut, elle aussi, du mal à s’imposer…

L’illustration est un détail d’une gravure humoristique d’ « Aujourd’hui – journal des ridicules », du 15 octobre 1839, titrée « Congrès masculino-foemino-littéraire ». On reconnaît George Sand fumant le cigare. Le document est conservé aux Archives de l’Indre.

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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