Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LES POMMES DE CANNE DE M. BESICHE (1899) – 1

Dans « Le Magasin pittoresque » du 15 août, 1er et 15 septembre, 1er et 15 octobre et 1er novembre 1899, se trouve une nouvelle signée d’A . LARIVIERE intitulée « L’atavisme ». C’est l’histoire d’un couple de Pont-sur-Oise, les Besiche, dont la fille, Georgette, n’en finit pas de grandir. La mère s’en inquiète (avec qui se mariera-t-elle ?) mais le père dissimule son souci en s’absorbant dans son travail. La grand-mère affirme que l’arrière-grand-père de Georgette était très grand : « sept pieds et deux pouces, et droit comme un peuplier ! … La petite tenait de lui, à n’en pas douter… », d’où le titre de la nouvelle : Atavisme.

Le père Besiche est un habile sculpteur de pommes de canne. Voici donc les extraits qui concernent notre sujet :

« Oh ! oui, très grande ! ». C’était sans enthousiasme, et d’un air plutôt soucieux, qu’il murmurait ces derniers mots ; puis il se mettait à sculpter ses pommes de canne, spécialité dans laquelle il excellait et qui lui avait valu une certaine renommée dans la région et jusqu’à l’étranger. (…)

M. Besiche, de son côté, s’était mis à sculpter avec plus d’acharnement encore ses pommes de canne ; le temps et l’expérience aidant, il était devenu un véritable artiste dans ce genre tout spécial. Son magasin présentait un aspect des plus pittoresques avec toutes ces cannes rangées à la devanture, toutes pourvues d’une tête finement travaillée, et offrant un ensemble extrêmement curieux. Les ministres populaires ou qui l’avaient été, les présidents de la République, les monarques, les princes étrangers, tous les grands hommes, toutes les hautes notabilités avaient passé sous le ciseau de M. Besiche. Il suffisait d’ailleurs qu’on lui remît un portrait-carte pris de face et un autre de profil, pour qu’il en tirât une tête d’une ressemblance parfaite.
Un jour, il avait eu la visite du prince de Kerbec ; c’était la consécration officielle, et depuis lors, pas un sportsman n’eût marché sans une canne Besiche à la main. La prospérité de ses affaires était connue dans la ville, et il était l’un des hommes les mieux cotés de l’endroit. (…)

Un beau jour Mme Besiche se demanda si son mari n’était pas devenu fou. Depuis quelque temps, en effet, le sculpteur avait modifié sa manière de faire ; ses cannes atteignaient des longueurs immenses ; il les recourbait en longues poignées sur lesquelles il découpait des figures fantastiques, têtes grimaçantes avec des nez démesurément allongés ou crochus ; animaux étranges qui n’avaient rien de commun avec la faune d’aucun pays ; poissons antédiluviens à dents de scie avec des queues de serpent qui s’arrondissaient en orbes insensées ; insectes hideux pourvus d’antennes longues comme des aiguilles à tricoter, des ventres énormes et une multitude de pattes qui rappelaient celles des mille-pieds.
Quand il avait parachevé l’un de ces monstrueux sujets, il le contemplait avec admiration, tournait et retournait la canne, puis la saisissant par la poignée, et sans s’embarrasser de ce qu’elle avait d’exagéré en hauteur, il arpentait magistralement le magasin, faisant résonner le parquet, s’arrêtant pour exécuter des moulinets, au risque de briser les vitres ou de renverser les objets placés à sa portée.

M. Besiche paraissait atteint de la folie des grandes dimensions, folie douce, à la vérité, mais qui se manifestait dans d’autres actes de sa vie ; c’est ainsi qu’au moment des repas il se plaignait qu’on le prît pour une poupée en plaçant devant lui des assiettes trop petites ; il ne voulait manger que dans des plats, et les plus vastes, les plus longs surtout lui convenaient le mieux.
Mme Besiche cachait avec soin ces travers qu’elle prenait en riant, bien que son cœur en fût torturé ; et d’ailleurs, les habitants de Pont-sur-Oise, loin de se douter de l’état mental du sculpteur, tombaient d’ébahissement devant ses nouvelles créations ; des rangées de curieux se succédaient à la devanture ; décidément M. Besiche faisait tout ce qu’il voulait de ses mains, c’était un grand artiste ! »

A suivre…

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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