Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
LA CANNE A EBULLITION DE TURQUOISES

En 1999, sous le titre « La canne à ébullition de turquoises (Balzac méchant) », Frédéric CIRIEZ a publié chez Denoël une nouvelle insolite inspirée par les propriétés d’invisibilité attribuées à la canne de Balzac (voir les articles La fameuse canne de Balzac et Canne qui rend invisible).
Comme poussé par le fantôme de Balzac, Joss, un modeste garçon de café, pénètre dans le département des Fétiches d’écrivains, récemment inauguré au sein de la Très Grande Bibliothèque François-Mitterrand. Balzac est en effet mécontent que l’on ait osé retirer de sa maison, rue Reynouard, sa fameuse canne à turquoises. Une fois devant la vitrine, Joss assiste à un phénomène extraordinaire :
« Joss regardait la canne. Les turquoises qui s’étalaient somptueusement sur toute sa longueur scintillaient dans un parallélépipède de plastique indestructible No Touch. Cent rafales de FAMAS et même un obus de MX 30 ne seraient pas parvenus à rayer le matériau ultra-résistant. Joss regardait la belle lumière bleue qui émanait des pierreries comme de la couleur pure dans l’obscurité complète de la pièce ; lui masquant ainsi le spectacle d’une myriade de fétiches exposés dans des vitrines et des présentoirs luxueux (…). La canne. Joss n’avait rien vu d’aussi beau (d’ailleurs il souriait sans comprendre, et la félicité limpidement inscrite sur son visage permettait d’affirmer qu’effectivement il n’avait rien vu d’aussi beau). Soudain, elle sembla se détendre, grossir et s’allonger par ses deux extrémités, lentement. Le phénomène continua à un rythme régulier, avec un gain de deux centimètres toutes les deux secondes. Puis les deux bouts de l’objet touchèrent les parois de leur tombeau transparent et, par la force interne de la poussée, le bloc vola en éclats devant Joss, immobile. Les éclats évitèrent son corps et se répandirent tout autour. Paumes ouvertes, il reçut le scepre revenu à ses proportions d’origine. »
Bien sûr, les gardiens sont aussitôt alertés mais Joss sort sans difficulté des lieux, puisque la canne le rend invisible. Poussé par la voix intérieure de Balzac, il se rend peu après dans un musée et lacère une toile, puis frappe « une Anglaise obèse qui avait planqué un Big Mac dans un petit sac à dos et qu’elle dévorait devant un Fragonard. » Il se livre à divers maléfices et maltraitances vengeresses. Il fait ensuite diffuser un message signé de « Balzac méchant » qui exige la fermeture immédiate du département des Fétiches d’écrivains et le retour de la canne dans le bureau de l’écrivain. Devant la recrudescence des déprédations commises dans les musées de façon inexplicable et les remous politiques que suscite l’affaire, le ministère de la culture obtempère et la canne réintègre toute seule le bureau de Balzac.
Et Joss, qui a entre temps perdu son emploi pour cause d’absentéisme, trouve une place de gardien dans la maison de Balzac, en attendant de diffuser des messages télévisés, en direct, « sur l’évolution de cette société dépressive et la manière d’organiser la résistance pour ouvrir des voies nouvelles d’expression. »
Un siècle et demi après sa mort, Balzac – et sa canne – suscitent encore l’imagination de jeunes et talentueux écrivains !
Cette nouvelle fait partie du recueil « Musées, des mondes énigmatiques » (Denoël, collection Présence du futur), p. 225-237.

Article proposé par Laurent Bastard. Merci :)

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