Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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DUEL AU BATON PAR ALPHONSE KARR
Nous avons déjà rencontré l’écrivain Alphonse KARR dans les articles Alphonse Karr (1898-1890), écrivain et bâtonniste et dans Le maître Epiphane. Karr était non seulement un romancier, un observateur des moeurs de ses contemporains, mais un bâtonniste expérimenté, un savant botaniste et un pêcheur à la ligne passionné.
 
En 1860, il publia « La Pêche en eau douce et en eau salée », où figure le récit d’un duel au bâton (p. 9-13). Comment avait-il été provoqué ? A. Karr raconte qu’il était allé pêcher en mer, du côté de Sainte-Adresse, près du Havre, en compagnie de Buquet, un vieux pêcheur normand et de Couveley, peintre et directeur du musée du Havre, qui tenait les avirons de la barque. Buquet ferre un gros poisson mais il se décroche, sans qu’on puisse imputer la faute à sa maladresse ou à une mauvaise manoeuvre de Couveley.
 
Buquet est catastrophé. Il en conçoit beaucoup de rancoeur contre Couveley, et contre les peintres en général, qu’il appelle des « Mouchels ». L’affaire se termine en duel au bâton.
 
« Un jour que j’étais dans ma cabane, et que Couveley, dans le petit jardin, faisait au pastel une de ces plages qu’il reproduit souvent si heureusement, Buquet s’approcha de lui, regarda ses dessins quelque temps ; Buquet était rouge et avait les yeux ardents. Tout à coup :
 
- C’est pas ça, Mouchel, lui dit-il, vous m’avez appelé « maladroit », hein ? – il faut dire que « maladroit » est, au Havre, une des injures les plus graves qui puissent être adressées à un homme – voleur, canaille, se supportent, mais on ne répond pas à « maladroit » ; cela équivaut à un soufflet.
 
Je n’ai rien dit hier, ajouta Buquet, à cause de M. Alphonche, mais, ce matin, j’ma soûlé exprès, et je m’fiche de M. Alphonche jusqu’à demain matin ; il peut me chasser, me battre, m’exterminer, ça m’est égal ; c’est pourquoi, Mouchel, mon bon ami, faut s’aligner à quèque chose, à ce que vous voudrez, depuis l’épingle jusqu’au canon, ou, pour mieux dire, v’la deux triques, deux bâtons de longueur que j’ai caché dans l’arbre ce matin – l’arme normande, l’arme des braves. Vous avez de l’éducation, vous devez savoir tirer le bâton ; c’est donc à la trique qu’on va s’expliquer ; vous avez dit que j’étais un maladroit, c’est ce qu’il s’agit de prouver.
 
Et Buquet mit les deux bâtons en croix, à terre, devant Couveley, et fit la partie du salut des bâtonnistes qui se fait avant de prendre les armes. Mais Couveley restait un peu étonné. Il faut dire que, quoiqu’il ait, en effet, de l’éducation, ses parents ont négligé de lui apprendre l’art du bâton.
 
Pour Buquet, il ramassa une des armes et acheva le salut en faisant tourner et siffler le bâton autour de sa tête, et qui plus est autour de la tête de Couveley.
 
Couveley est rageur ; il aurait fini par prendre l’autre bâton, et il se serait fait assommer. Je crus alors devoir intervenir ; mais ainsi qu’il l’avait annoncé, Buquet se fichait de moi jusqu’au lendemain matin, et je ne pus préserver Couveley qu’en prenant moi-même le second bâton et en désarmant Buquet d’un coup heureux et bien exécuté, me félicitant d’avoir reçu de l’éducation. »
 
Le portait d’Alphonse Karr illustrant cet article est extrait de la notice de Wikipédia consacrée à Alphonse Karr. On peut consulter l’intégralité de « La Pêche en eau eau douce et en eau salée » sur Google.books.
 
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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