Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE PRIVILEGE DE L’EPEE SUR LE BATON

Le duel était encore assez courant au XIXe et ne devint exceptionnel qu’après la Grande guerre, avant de disparaître au milieu du XXe siècle. Venger un affront par le sang était la seule façon de demeurer un homme d’honneur. On risquait de devenir un meurtrier mais la justice se montrait assez clémente pour l’offensé, qui bénéficiait de circonstances atténuantes.

Des juristes et des hommes de bon sens se sont élevés contre les duels et la modération des peines encourues. En 1836, en un temps où ceux-ci étaient encore très fréquents, J. GRANDGAGNAGE, conseiller à la cour de Liège, membre de l’académie de Bruxelles, publia une « Lettre sur le duel ». Il déplorait la recrudescence des duels dans son pays tout comme en France, et plus encore les projets de lois qui tendaient à ne plus qualifier de meurtre les morts causés par le l’épée ou le pistolet.

Grandgagnage s’interrogeait : pourquoi est-on si clément envers ceux qui usent de ces armes et si sévère envers ceux qui tuent avec un bâton ? Voici ses arguments, qui ne manquent pas de finesse (p. 9-10) :

« Je pense qu’une législation spéciale sur le duel n’est plus aujourd’hui nécessaire ; j’irai même plus loin, je pense que c’est un mal.
On l’a dit bien souvent, et ces arguments familiers sont parfois les plus solides : que deux paysans se battent à coups de bâton dans une rixe au cabaret, et que l’un d’eux vienne à tuer son adversaire, il sera traîné devant les tribunaux, guillotiné peut-être (cela s’est vu), ou tout au moins il sera jeté dans les fers.

Après cela, que deux messieurs de la ville aillent se battre à l’épée, au pistolet, au sabre. Ce n’est plus la même chose. Une loi spéciale va les protéger. Peut-être ne seront-ils pas poursuivis, et s’ils le sont, une peine particulière doit seul les attendre.

Pourquoi donc ce privilège de l’épée sur le bâton ? Avons-nous encore des vilains ? Avons-nous encore de preux chevaliers combattant en champ clos sous la sauvegarde de l’autorité publique ? Tout homme qui tue volontairement un homme est un meurtrier : qu’il soit donc frappé de la peine du meurtre. Plus de vaine fiction en faveur du duel, et surtout plus de privilège.

Or, les lois spéciales ne sont-elles pas de pures lois de privilège, une atteinte flagrante à cette loi d’égalité qui doit prédominer aujourd’hui, une transaction peu digne avec les vieilles lois aristocratiques sur les tournois et les joûtes ? Nos villageois et malheureux artisans ont conservé ça et là quelques habitudes pernicieuses qui sont leurs préjugés à eux ; l’ivresse, par exemple. Pourquoi donc les crimes que leur ivresse entraîne ne trouvent-ils pas grâce auprès de vous, protection ou tout au moins excuse ? Autrefois les classes privilégiées, se trouvant au pouvoir, en usaient pour se faire des lois favorables ; les classes moyennes, y arrivant à leur tour, en ont usé pour se faire des lois également favorables : prenons garde que le pouvoir ne descende plus bas, et que notre aristocratie bourgeoise ne jette parmi les classes inférieures l’envie de se faire aussi des lois favorables ! »

Source : Google.livres. L’illustration est une gravure du « Journal de la Semaine », du 24 janvier 1861, accompagnant un épisode de duel du roman-feuilleton « Les Chasseurs d’Afrique », p. 21

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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