Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE COMBAT AU BATON DE TRISTAN ET DE NABON-LE-NOIR

Ce blog permet aux visiteurs de constituer une anthologie littéraire des scènes de combat au bâton. De l’Antiquité au XIXe siècle, plusieurs auteurs ont en effet évoqué les joutes au bâton, et voici un nouveau texte qui nous renvoie, cette fois, au Moyen Age et aux chevaliers de la Table ronde.

Tristan, le chevalier qu’un amour fou lie à Yseut, l’épouse du roi Marc, est l’acteur de nombreuses aventures qui ont été contées de façon plus ou moins différentes selon les poètes médiévaux. Bien plus tard, des auteurs les réunirent pour leur donner cohérence et suivi.
L’un des épisodes guerriers de Tristan a été rapporté en 1782 par le comte de TRESSAN dans son livre : « Corps d’extraits de romans de chevalerie », consultable sur Google livres.

Pages 69-70, on y trouve le récit du combat au bâton accompli par Tristan contre le géant Nabon-le-Noir. tristan, accompagné d’Yseut, arrivent sur les terres de ce dernier. Il y retrouve le chevalier Ségurades, qui lui apprend que Nabon, « le plus redoutable et le plus méchant de tous les hommes », tient prisonniers les chevaliers du royaume de Norgales et ceux de Logres. Dès le lendemain de son arrivée, Tristan et Ségurèdes sont enjoints, comme tous les vassaux de Nabon, de se rendre à une fête organisée par celui-ci.
Le géant, « qui se croyait l’homme le plus redoutable à l’escrime », a partagé les chevaliers en deux groupes, ceux de Norgales et ceux de Logres.

« Un jeune prince de ce royaume, nommé l’Amoral de Gales, et compagnon de la Table ronde, se présente en ce moment, et se joint à la troupe des chevaliers de Logres. « Bon, fait Nabon-le-Noia, vecy un serf de plus ». L’Amoral, armé d’un écu et d’un bâton propre à l’escrime, ainsi que tous les combattants l’étaient, se présente et nul chevalier de Norgales ne peut tenir contre son adresse.
Nabon le trouve digne d’éprouver la sienne ; il descend, s’arme d’un écu et d’un bâton d’escrime, attaque l’Amoral de Gales, le met bientôt hors d’état de se défendre et se plaint tout haut qu’il ne peut trouver personne en état de le combattre.
Tristan, qui s’était tenu tranquille jusqu’alors, dit à Ségurades : « Il est temps que je me présente ; j’espère, dans le combat, me conduire de façon à pouvoir tuer Nabon, et dès que vous le verrez tomber, criez aux deux partis : « A la rescousse, liberté ! ».
Tristan se présente aussitôt et se saisit du bâton d’escrime du malheureux l’Amoral. Les deux partis admirent sa riche taille et sa beauté ; Nabon le juge un adversaire digne de lui. Il l’attaque à coups précipités. Tristan les pare tous avec adresse, feint de les éviter et n’en porte que de mal assurés.
Nabon combat pendant une heure et, surpris de l’adresse de son adversaire, il s’arrête et s’écrie : « Qui es-tu donc qui montres tant d’adresse à parer mes coups ? Et si peu de courage pour m’en porter ? – Je suis Tristan de Léonois, lui dit-il, fils de Méliadus, et neveu du roi Marc. » « Haa, tant mieux, dit Nabon, car toujours portay hayne à ta meignec (famille) ; à la mort ores es-tu venu : Tristan, je te défie. »
C’est ce que Tristan désirait. Il accepte le défi, pare encore quelques coups, mais bientôt le combat change : il en porte à son tour, étonne Nabon, le serre de près, prend son temps et, d’un coup portant plein sur la tête, il le renverse mort.
Sur le champ, il saisit un des gardes de Nabon, s’empare de son épée et Ségurades et lui crient : « A la rescousse, liberté ! ».

Un demi siècle plus tard, Auguste CREUZE DE LESSER donna une version rimée de Tristan et Yseut, sous le titre de « La Chevalerie ou des histoires du Moyen Age, composées de la Table ronde, Amadis, Roland, poèmes sur les trois grandes familles de la chevalerie romanesque » (1839).

Son poème en décasyllabes reprend ce qui figure ci-dessus, mais Creuzé de Lesser y ajoute de petits détails et même un commentaire sur le jeu du bâton, « arme peu glorieuse » que les Bretons manient pourtant avec beaucoup d’adresse :

« Mais le seigneur, qu’on appelait Nabon,
De ce succès gagné contre sa mie,
Croit se venger sur Tristan qu’il défie
A ce combat dit le jeu du bâton,
Lutte bizarre et pourtant périlleuse,
Où des rivaux, pour fixer les destins,
N’ont que cette arme, ailleurs moins glorieuse.
Un bois pesant qui tourne entre leurs mains
Et devant eux forme un cercle invisible,
Changeant de but au gré de leurs desseins,
Pour attaquer est une arme terrible.
Un ennemi dans ce choc meurtrier
Sent tout à coup la mort inaperçue ;
Et ce bâton, longtemps en bouclier,
En ce moment se transforme en massue.
Heureusement Tristan, comme Breton,
Etait habile à ce jeu de bâton
Où maint enfant des champs de l’Armorique
Déploie encore une adresse rustique.
Il accepta le défi de Nabon.
Serré de près, d’une atteinte cruelle
Il abattit ce rival dangereux,
Et, reconnu pour le plus valeureux,
En paix alla caresser la plus belle. »

Cette fin heureuse s’appelle le « repos du guerrier »…

On notera que si les chevaliers de Norgales et de Logres combattent au bâton sur l’ordre de Nabon, c’est qu’ils sont ses prisonniers et, comme tels, désarmés et privés de leur épée. C’est donc un combat forcé et humiliant, car le bâton n’est point l’arme qui sied à leur qualité.

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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