Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
Le bâton merdeux

Voilà un sujet qu’on ne sait pas par quel bout aborder… Et pour cause, l’expression recouvre plusieurs sens (dont le toucher et l’odorat, évidemment)…

Au sens propre (si l’on peut dire) le bâton merdeux intervenait d’abord lors d’un jeu d’enfants. Rabelais, au chapitre XXII de Gargantua, énumère 215 jeux auxquels se livre son héros quand il est petit garçon. L ‘un d’eux est dénommé « Guillemin baille my ma lance » (c’est-à-dire « Guillemin donne moi ma lance ») et il est défini comme « un jeu d’attrape, où l’on met, dans la main de l’enfant qui a les yeux bandés, un bâton merdeux ». Dans l’édition des Oeuvres de François Rabelais, publiée en 1711 à Amsterdam, un commentateur apporte des précisions sur ce jeu de bâton : « On bande les yeux à l’un de la troupe, lequel on traite de chevalier. En cet état, il commande à son écuyer, soit Guillemin ou Robin, de lui bailler sa lance. Attendez, Monsieur, répond l’écuyer, je vous l’agence ; l’écuyer disant ensuite à son maître qu’il lui présente effectivement une lance. Dans le temps que Monsieur le chevalier ouvre la main pour empoigner cette lance, son écuyer lui met en main un bâton qu’il a pris le loisir d’enduire de m… à l’endroit que l’autre doit toucher. »
Est-ce le préliminaire de cette opération que Bruegel a représenté dans son tableau « Les jeux des enfants » en 1560 et qui est conservé au musée de Vienne ?
Jeux de Breugel

Donc on jouait avec un bâton merdeux. Mais est-ce de là qu’est issue l’expression « il est comme le bâton merdeux, on ne sait par quel bout le prendre » ? Pas sûr, car ce type de bâton-là est enduit d’un bout à l’autre de la chose et c’est pour cela qu’on ne sait comment le saisir. On a avancé qu’il pourrait s’agir de ces bâtons plats qui servaient à râcler le fondement lorsque le papier-toilette n’existait pas, mais c’est peu probable, car cet emploi, n’était connu que sous l’Antiquité ou au Japon.
En tout cas, l’expression désigne un individu acariâtre, susceptible, désagréable. Elle entre dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1798. Zola la place dans la bouche de l’un des personnages de son roman « La Terre » (1887) : « Pourquoi ne nous envoie-t-elle pas les gendarmes ? On croirait qu’on la vole, bon sang ! Est-ce que je raconte dehors, moi, qu’elle est un vrai bâton merdeux, à ne pas savoir par quel bout la prendre ? » Et Brasssens, dans sa chanson « Les Casseuses » (1976), l’emploie contre la gent féminine : « Après l’étreinte, en moins de deux / Ell’ r’devient un bâton merdeux. »
Mais le sens de l’expression a évolué. Il ne se rapporte plus seulement à un individu mais à une situation qu’on ne sait comment aborder, un problème qu’on ne sait résoudre, et qu’on repasse à son voisin pour s’en débarrasser. Déjà, en 1866, Baudelaire, dans son pamphlet sur la Belgique, écrivait : « La Belgique est un bâton merdeux, c’est là surtout ce qui crée son inviolabilité. Ne touchez pas à la Belgique. »
On rencontre sur des blogs d’analystes politiques des phrases où elle est employée dans ce sens : « Se dépatouiller du bâton merdeux de la candidature officielle du PS… » ou encore « Cette histoire de travail dominical, c’est un vrai bâton merdeux ». Ce bâton-là est devenu synonyme de la « patate chaude » qu’on se refile de peur de se brûler les doigts. Cependant, la patate chaude, ça brûle, mais ça ne sent pas mauvais.
« Le bâton merdeux » est même devenu une distinction (?) visant « des personnages qui parviennent à occuper le débat public avec une profonde inconsistance » et elle a été décernée par des journalistes à un homme politique en 2009, dont nous tairons le nom pour ne pas nous exposer à des coups de bâtons !

Article rédigé (courageusement) par Laurent Bastard. Merci :)

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1 Comment to “Le bâton merdeux”

  1. Laurent BASTARD dit :

    Petit complément issu de : Eman MARTIN : « La Grammaire française après l’orthographe, ouvrage comprenant deux études : signification et construction » (1866), p. 48, à l’entrée BATON :

    « C’est un bâton épineux. C’est un homme d’un caractère chagrin, difficile, susceptible, très difficile.
    On est fort embarrassé pour prendre un bâton couvert d’épines.
    On remplace quelquefois « épineux » par un adjectif qui sent la grossiereté. »

    A notre avis, ça ne sent pas que la grossiereté !

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