Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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« ADIEUX A MA CANNE » PAR RAYMOND MAHAUDEN (1837)

Raymond MAHAUDEN (1812-1842) fut un poète et auteur dramatique belge. Il est l’auteur d’un incroyable poème en pas moins de 25 quatrains sur le thème des adieux à sa canne !

On remarquera que l’attachement du poète à sa canne, qu’il personnifie, illustre l’importance que revêtait cet accessoire de marche et d’élégance au XIXe siècle. R. Mahauden, mort à trente ans, était il malade et sentait-il sa fin proche lorsqu’il fit ses adieux à sa fidèle compagne ?

Ces vers montrent aussi qu’il n’y eut pas que les compagnons du tour de France à avoir révéré leur canne et notamment à parler d’elle comme s’il s’agissait d’une femme (voir les articles L’énigme de la canne en vers et La canne, belle comme une femme, selon « Rochelais l’Enfant chéri« ).

Le poème de Mahauden a été publié dans la revue « La Belgique littéraire et industrielle, revue de la littérature, des arts, des sciences et de l’industrie », 1er semestre, Bruxelles, 1837.

« ADIEUX A MA CANNE
Tout passe, peine et joie, illusion, amour,
Tout, hormis le regret : nos plus belles années
Tombent comme ces fleurs par la faux moissonnées
Qui n’ont brillé qu’un jour.

C’est ainsi qu’à jamais un instant nous sépare
De tout ce qu’ici-bas nous avions de plus cher ;
Ainsi que le temps fuit, inflexible et barbare,
Emportant tout sur ses ailes de fer.

Et celui qui survit, d’une parole amie,
Sur le lit de la mort, console un malheureux :
C’est ainsi que je vais, ô ma canne chérie,
Avant de te quitter te faire mes adieux…

Pendant trois ans, tu sais, compagne résignée,
Combien de mauvais pas il me fallut franchir :
Trois ans tu partageas toute ma destinée,
Amour, tourment, peine, plaisir.

Voilà quels sont tes droits à ma reconnaissance ;
Et (que Dieu me pardonne un peu de vanité !)
Que n’avons-nous pour prix d’une telle constance,
Pu marcher côte à côte à l’immortalité !…

O canne, ma mignonne, on te portait envie,
Ta jeunesse étalait tant d’appas séduisants !…
Je te possédai vierge et, je m’en glorifie,
Tu n’eus jamais d’amants !

Elégante sans art, belle avec modestie,
Tu charmas sans parure et brillas sans atour ;
Je ne t’entourai pas de coquetterie
Du dandysme du jour.

Ta taille, en même temps classique et romantique,
N’avait pas, en dépit du siècle merveilleux,
La fluette maigreur de la badine étique
Ni l’embonpoint du gourdin monstrueux.

Bien qu’à te remplacer j’aie une pierre extrême,
Tu n’es ni le bâton de Jacob, ni d’Isaac,
Ni la baguette d’or de Moïse, ni même
La canne de Monsieur Balzac.

Rien de prodigieux en toi, rien d’incroyable,
Rien qui ne rappelât le temps patriarcal,
Rien enfin qui te vînt ni de Dieu ni du diable,
Rien de céleste ou d’infernal.

Ton sein ne renferma point d’arme meurtrière,
Et tu n’eus pas (j’en suis encor tout orgueilleux !)
A molester jamais d’être vivant sur terre,
Ni chien, ni gueux.

Quelquefois la vapeur d’une liqueur traîtresse,
Dans un moment d’oubli me faisait chanceler,
Quelquefois, trop souvent, hélas ! je le confesse,
Tu le dirais si tu savais parler ;

Comme une gouvernante, ô ma canne mignonne,
Jusques à mon chevet tu me prêtais soutien ;
Je te trouvais toujours compatissante et bonne,
Comme un ange gardien.

Et bien souvent aussi, quand la nuit était sombre,
A l’heure des soupirs, tu me guidais tremblant
Pour voir se dessiner l’apparence d’une ombre
Derrière un rideau blanc.

Puis venaient les regrets, les plaintes inutiles
Et l’on me surprenait parfois agenouillé
Devant l’image d’or de ces rêves stériles
Que l’on fait éveillé

Car cette ombre, ô ma canne, est la rivale unique,
Que de tous ses trésors la main de Dieu dota ;
Créature suave et la plus angélique
Que dix-huit cent douze enfanta…

Lorsque dans son oeil noir tout pétillant de flamme,
Comme un rayon de feu, le mien avait plongé,
Je sentais un bonheur, une joie en mon âme,
Et plus leste et plus dégagé,

Il me semblait alors (ingratitude étrange !)
Que ton secours était inutile à mes pas :
Se souvient-on jamais, en contemplant un ange,
De ses misères d’ici-bas ?

Puisque de tous mes torts je fais l’aveu sincère,
Je dirai que souvent même il m’est arrivé
De faire expier mon dépit, ma colère,
En te frappant sur un pavé.

Egoïsme ! Egoïsme ! Hélas ! plus on y pense,
Plus on se sent au coeur du fiel et du dégoût :
La haine pour l’amour, le bienfait pour l’offense,
Et l’ingratitude partout.

Voilà bien l’homme… – Hélas ! c’est une triste chose
Que de voir sous les fleurs le serpent se poser,
C’est triste de sentir l’épine sous la rose,
La morsure sous le baiser…

Oh ! bien heureux celui que la grâce divine
Ne laisse pas languir dans un triste abandon,
Et qui tout repentant se frappe la poitrine :
Le repentir est un demi-pardon.

Que ce jour solennel soit un jour de clémence !
Tu vois l’amer regret dont mon coeur est touché,
Fais sur moi luire encore un rayon d’indulgence,
Meâ culpâ, car j’ai péché…

Hélas ! il te faut donc suspendre à la muraille
Auprès de ton aînée, ô soins trop douloureux,
Car tu gagnas, ainsi qu’un blessé de bataille,
Des invalides glorieux.

Pour rappeler l’éclat de ta splendeur première,
Je veux te voir parée encor d’un ruban bleu…
Puis je te donnerai l’embrassade dernière…
Adieu, ma canne… Adieu !!! »

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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