Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
« COMMENT ON CULTIVE CANNES ET GOURDINS » (SUITE ET FIN)

Voici la suite de l’article publié dans la revue « Lectures pour tous » de juillet 1907.

« UN HOMME QUI POSSEDE DEUX MILLIONS DE CANNES.
Les tiges de bois ainsi récoltées sont amenées à l’usine. On les fait légèrement sécher en plein air, puis on les taille, au moyen de scies mécaniques, à la dimension de 1 m. 50. Après quoi, celles qui doivent être décortiquées sont portées dans des chaudières alimentées par la vapeur. Sous l’action de la chaleur, le bois s’amollit. Des femmes prennent les branches ébouillantées et, comme on dépouille une anguille, les décortiquent d’un mouvement glissé. En une journée, 8 ouvrières débarrassent de leur épiderme 20 000 cannes. Le bois, mis à nu, est brossé, débarrassé des derniers vestiges de l’écorce. Puis il est séché et scié à 90 centimètres ou 1 m. 30.
C’est alors qu’on s’occupe de recourber celles dont la poignée doit être arrondie, car ce travail est impossible à exécuter, lorsque la canne est encore « sur pied ». On les plonge de nouveau dans des chaudières où les tiges les plus dures deviennent souples comme de la gomme. On les retire une à une et l’on incurve leur extrémité.
Cette opération exige si peu de temps que 10 ouvriers courbent 12 000 cannes par jour.

L’oeuvre du planteur est achevée ; par paquets de 50 ou de 100, les cannes seront envoyées chez le fabricant qui les peindra, les vernira, leur ajoutera pommes, poignées, bagues, etc. M. Camus a en magasin 2 millions de cannes qui attendent ainsi le moment d’être expédiées dans le monde entier. Sur ce chiffre, il y a un déchet considérable ; tous les ans, le séchage en fait éclater de 50 000 à 60 000 ; les vers en dévorent 10 000.

Les cannes de châtaignier et de frêne recevront une couche de vernis ; ce seront les cannes populaires à 2 francs la pièce. Le chêne, également verni, vaudra 25 centimes de plus. Ornées d’une bague en argent, ces mêmes cannes coûtent 5 francs. Celles de merisier vaudront beaucoup plus cher. Les marchands leur donnent une couleur d’huile de lin, puis une de vernis sous laquelle transparaît leur écorce luisante. On les ceint d’un anneau d’or et on les vend plus de 60 francs.

PLAISANTERIES CLASSIQUES. – PHENOMENES DE GROSSEUR ET DE PETITESSE.
Parmi les cannes de fantaisie, il en est qui donnent lieu à d’innocentes plaisanteries. A Jersey, M. Camus cultive une sorte de chou dont la tige monte très haut. On en fait des cannes qui, sous des apparences volumineuses, sont très légères et surprennent toujours ceux qui les manient. Le chevrin, plante de marais qui pousse en Sologne, peut servir également pour confectionner ces cannes-attrapes.
On fabrique aussi des cannes phénoménales en bois dur et lourd, mesurant 20 ou 25 centimètres de tour. Elles servent de réclame dans les étalages des marchands. Malgré leurs dimensions, elles paraissent cependant des pygmées auprès de la géante que M. Camus possède dans ses collections, à Maule. Elle pèse 10 kilos ; c’est une tige de châtaignier mesurant 50 centimètres de tour et qui a été coupée sur un arbre de 8 ans.
Et voici maintenant Lilliput à côté de Brobdingnag. C’est une canne minuscule de 30 centimètres de long et de 5 millimètres de tour, presque un fil, couverte de dessins. Une telle pièce est une rareté d’inestimable valeur. C’est en effet lorsque la tige était encore toute jeune qu’il a fallu l’opérer, pour lui imprimer le tracé de la décoration ; or, on a 1 chance de réussir, contre 2000 de faire mourir la canne encore trop faible pour supporter les blessures du brutal instrument.

Il y a une quinzaine d’années, des agents étrangers sautèrent par-dessus les murs des pépinières de Maule et volèrent des appareils pour imprimer les dessins. Heureusement ces concurrents sans scrupule n’ont pas encore découvert le moyen de s’en bien servir ; leurs produits sont sans élégance aucune. Aussi la France reste-t-elle la grande productrice de cannes. Rien que chez nous, il s’en consomme annuellement 500 000. Les années de manifestations politiques augmentent légèrement ce chiffre. Après les troubles du Quartier Latin, en 1893, Paris acheta 15 000 cannes de plus.
Aussi le planteur de cannes, dont les débouchés sont assurés, interroge le ciel, suppute les chances de temps favorable et, comme le viticulteur qui attend fébrilement une « année de vin », caresse l’espoir d’une « année de cannes ».

Légende des illustrations.
1) APRES LA RECOLTE : DECORTICAGE DES CANNES A L’USINE. Plongées dans des chaudières à vapeur, les cannes s’amollissent au point qu’on peut les dépouiller comme des anguilles. 8 ouvrières suffisent à décortiquer 20 000 cannes par jour.
2) LE BROSSAGE DES CANNES, APRES LE DECORTICAGE.
3) COMMENT ON REDRESSE LES MAL VENUES.

Au terme de cet article si riche en détails sur les essences utilisées pour fabriquer des cannes, l’importance de la production, les techniques de façonnages, etc., nous signalerons aux lecteurs que la pépinière et l’usine de cannes de Maules ont été fondées en 1874 et qu’elles ont cessé leur activité en 1936. Il en existe des cartes postales.
Le musée Victor-Aubert, aménagé dans un ancien prieuré de Maules, renferme des documents et des cannes issues de la fabrique Camus. Il est situé 24, rue Quincampoix, au pied de l’église Saint-Nicolas. Voir son site : http://museeaubertmaule.free.fr/m1.html

Suite et fin de ce magnifique sujet, proposé par Laurent Bastard. Merci :)

Leave a Reply